Trek dans le Moyen-Atlas
28 Octobre au 4 novembre 2007
28 Octobre au 4 novembre 2007
Guide : Hassan
Participants (13) : Xavier, Julien, Estelle, Jérémy, Max, Jean-Louis, Jonathan C, Pierre S, Rose, Michelle, Anna, Richard, Cathy
Le récit de Cathy
Nous sommes partis au-delà de nous-mêmes, à la rencontre de l'Autre, effaçant les a-priori pour connaître l'essence même de la réalité et appréhender une autre culture, une autre religion, une autre manière de vivre, sans dénigrer ni mépriser, simplement approcher et tenter de respecter, d'aimer l'inconnu et ce qui nous est étranger.
Le "passeur", ce fut notre guide Hassan Zbaïr, fier Berbère amoureux du Maroc et sans complexe vis-à-vis des Occidentaux, soucieux d'échanges et d'enrichissements mutuels, tentant de réaliser une symbiose harmonieuse entre les cultures du Nord et du Sud dans sa propre vie et dans celle des villageois que nous avons côtoyés pendant quelques jours.
Nous avons donc voyagé quatre jours à pied dans les contreforts de l'Atlas, un peu au Sud du Toubkal, le point culminant qui domine Marrakech, déjà légèrement blanchi par les premiers frimas. Deux minibus nous ont acheminés près d'Imizmiz, aux confins de la vallée du Haouz, nos bagages ont été chargés sur des mules et nous avons marché de village en village au milieu d'un paysage sans herbe, parsemé de rares arbres et de buissons hérissés d'épines aggressives.
Partout où s'étalait la terre nue, Hassan nous désignait des "champs", étendues désertiques en attente de pluie, soigneusement lissées et débarrassées des pierres, entourées de haies de branches d'épineux entrelacées pour que les troupeaux de brebis ou de chèvres (jamais abandonnés à eux-mêmes) ne soient pas tentés de se précipiter sur les futures pousses d'orge ou de blé. A flanc de collines, des terrasses percées de trous préfigurent des forêts à venir ou des plantations d'oliviers dont c'est la saison des récoltes, à coups de bâton sur les branches pour les faire tomber sur le sol.
Estelle, la "fiancée" lyonnaise de Hassan, intégrée d'office à notre groupe, - et charmante -, nous raconte que sa mère, se promenant dans un paysage semblable, a fait une chute et s'est cassé la jambe. Dûment soignée, une plaie purulente ne parvenait pas à se résorber, laissant impuissant le chirurgien. C'est son généraliste qui a trouvé la solution : de même que les jeunes enfants s'enfoncent des cailloux en tombant, sans s'en apercevoir, une épine d'une dizaine de centimètres avait pénétré profondément dans sa jambe, si fine que la peau s'était aussitôt refermée, tandis que ses chairs tentaient désespérément - et en vain - de s'en débarrasser !
Anna-Oeil de lynx repère une tortue terrestre d'une douzaine de centimètres de diamètre sur le côté de la piste, bien que ses couleurs se fondent parfaitement dans l'environnement, puis, à quelques pas de là, une plus jeune tortue attaquée par une tique suceuse de sang que Hassan, patiemment, retire pour soulager la pauvre bête.
Chemin faisant, il nous explique les techniques traditionnelles de construction avec la pierre, le pisé ou la terre battue extraite directement sur place et tassée dans des cadres de bois de taille standard. Si les murs présentent des trous, que ce soit les murailles de Marrakech ou les petites maisons en terrasses, ils correspondent tout simplement aux barres de bois servant à soutenir les banches en planches servant de coffrage. Un matin, j'étais sortie avant l'aube du deuxième gîte (Ait Ahmad, à 1200 m d'altitude), et j'entendais des "frrr" répétés dans le mur : les oiseaux avaient élu domicile dans les interstices et entraient et sortaient sans arrêt en silence, fort affairés bien que les rayons du soleil n'aient pas encore effleuré le sommet des montagnes tandis que le ciel pâlissant effaçait une à une les étoiles innombrables.
Une fois les murs montés, des poutres de bois plus ou moins rectilignes (les arbres sont rares et maigrelets) sont alignées tous les mètres horizontalement et des tiges de joncs placées dessus perpendiculairement pour servir de support au plafond-terrasse en terre ou en béton. Les Marocains (tout comme les Espagnols) remplacent progressivement leur bois de construction traditionnel par l'eucalyptus d'origine australienne, très bien adapté à la sécheresse. La grande terrasse du premier gîte à Ait Zitoun est fendue comme un lac asséché en mozaïque au niveau des poutres qui ont bougé avec les changements hygrométriques. Quelques murs de briques de béton grises déparent parfois les villages : ils sont plus rapides à monter mais avec un matériau acheté en ville, moins isolant sur le plan thermique et bien moins intégré au paysage car il est la plupart du temps laissé nu, sans crépi.
L'intérêt de cette construction traditionnelle, c'est qu'elle ne nécessite quasiment pas d'eau (mis à part pour humidifier et tasser la terre) et elle peut être réalisée par les villageois eux-mêmes avec des matériaux que l'on trouve sur place. Les murs tiennent debout tant que l'on entretient les terrasses (tous les ans ou les deux ans, suivant l'intensité des pluies). Dans chaque village, nous avons trouvé des maisons abandonnées, aux murs délabrés et plafonds écroulés : les villageois ont simplement rebâti à côté, en récupérant dans les éboulis quelques pierres ou poutres laissées intactes. J'ignore s'il s'agit de familles qui sont parties en ville. D'après ce que dit Hassan, les villageois demeurent le plus possible "au pays", n'envoyant que quelques uns de leurs enfants travailler ailleurs, avec charge pour eux d'entretenir ceux qui restent avec une portion de leurs revenus. Réflexion faite, il manquait effectivement une tranche d'âge pour les hommes entre 15 et 50 ans : seuls restent les vieux, les enfants et les femmes (à quelques rares exceptions près).
A Ait Ahmad, nous avons vu les femmes debout dans une pièce sombre de l'autre côté du patio, pliées en deux au-dessus du récipient posé à même le sol où cuit le repas familial, sur un feu de bois dont les fagots ont été ramassés dans la journée et apportés sur le dos (dans les paniers de la mule chez les familles plus aisées). Les bébés et petits enfants circulent autour malgré le danger, sans que personne ne semble rien leur dire. La fumée s'échappe par les interstices, la porte, les fenêtres sans vitres uniquement pourvues de volets et de grilles métalliques (qui remplacent les moucharabiehs de bois, devenus trop chers en raison de la pénurie d'arbres) ou un trou dans le plafond servant de cheminée sans conduit.
Hassan nous a fait des recommandations strictes : ne rien offrir aux enfants (qui réclament bonbons ou stylos) pour ne pas les habituer à la mendicité et ne pas photographier les gens sans leur consentement. Du coup, c'est à peine si j'ose de temps en temps les prendre, car j'ai scrupule à traverser ainsi le pays en les regardant vivre comme si j'étais dans un zoo. C'est pourtant la façon la moins aggressive de pratiquer le tourisme, arriver à pied (comme eux), se faire héberger chez eux pour partager un tant soit peu leur mode de vie et communiquer avec eux (en français, ou en berbère par le truchement de Hassan) tout en leur apportant un complément de revenu.
Nous trouvons la population très accueillante, chaque personne que nous rencontrons, jeune ou vieille, nous salue en français, en arabe ou en berbère, spontanément ou en réponse à notre bonjour. Hassan fait de même, s'arrête pour palabrer un moment, simple conversation de politesse ou requête pour nous présenter des tranches de vie. Nous passons devant des écoles, portes et fenêtres ouvertes, d'où jaillissent les voix des élèves et du professeur. Deux ou trois enfants traînent dehors, au piquet, ou bien trop jeunes pour être scolarisés. L'enseignement n'est pas encore obligatoire pour tous et les enseignants en trop petit nombre partagent les élèves en deux sections (comme au Brésil), ceux qui viennent en cours le matin et ceux qui y vont l'après-midi. Nous voyons les enfants, par groupe de deux ou trois, parfois accompagnés de leur mère, qui reviennent cartable au dos à pied, parcourant à midi les étendues désertiques pour rejoindre le domicile.
A Ait Zitoun (900 m), le premier gîte, j'ai vu une petite fille, un grand carton du genre couvercle d'emballage de pizza à la main, en train de déchiffrer et ânonner sa leçon qu'elle a griffonnée dessus, tandis que deux petits garçons plus jeunes la rejoignaient et plaisantaient avec elle. Il n'était pas loin de 8 heures et ils s'apprêtaient, cartable au dos, à se rendre à l'école, à pied bien sûr.
Le plus dur pour nous, c'est le manque d'eau. D'abord, le problème de la sécheresse ambiante, qui nous abîme les muqueuses, du nez, des yeux, de la gorge, impose une lumière éblouissante sitôt le soleil levé, qui se réverbère sur le sol nu et les roches et nous fatigue la vue. Comble du luxe, à chaque pique-nique, Hassan prépare deux petites bassines d'eau flanquées d'un savon pour que nous puissions faire nos ablutions avant le déjeuner. Si nous sommes accoutumés à nous "débrouiller" dans la nature lors de nos balades dominicales, il en est tout autrement lorsqu'à chaque gîte le problème du manque d'eau courante se pose.
L'eau est puisée au puits (pas toujours très proche), manuel ou pourvu d'une pompe, par les femmes et jeunes filles de la maison, ramenée dans des jarres en terre cuite déjà très pesantes à vide, qu'elles portent sur le dos soutenues à l'anse par deux doigts - avec parfois un récipient de plastique ou une deuxième jarre à l'autre main - pour emplir les réservoirs de la maison, l'un pour la cuisine, l'autre pour le hammam.
Un seau empli d'eau assorti d'une tasse en plastique sert de chasse d'eau dans les cabinets à la turque (où il est totalement déconseillé de jeter des papiers, sinon tout se bouche !) - bien entendu, il n'y a pas de tout à l'égout -. Pour boire, nous mettons des pastilles dans nos bouteilles emplies au robinet d'eau ou nous achetons des bouteilles d'eau minérale vendues dans chacun des gîtes. Plusieurs d'entre nous auront quand même des problèmes de santé peut-être liés à l'eau, ou à l'inconfort.
J'ai d'abord pris les hammams pour des fours à pain. Il s'agit de constructions oblongues accolées aux maisons, avec un trou à la base où l'on place des branchages que l'on enflamme pour chauffer l'eau située dans une réserve à l'intérieur. Dans la maison, une sorte de sas permet de se changer et de suspendre les affaires à des clous, puis on ouvre une petite porte et l'on pénètre dans une atmosphère de four humide. Un robinet permet d'avoir aussi de l'eau froide pour tiédir le sol carrelé (sinon gare aux brûlures à la plante des pieds !) et la mélanger à l'eau chaude dans un récipient vide afin de s'asperger parcimonieusement le corps avant de se savonner avec une pâte verdâtre et se laver les cheveux (quelle galère pour se rincer avec juste une tasse que l'on verse sur la tête, on frotte, une nouvelle tasse, etc. jusqu'à ce qu'on ait la sensation d'être un peu plus propre...).
La douche de l'hôtel à notre retour à Marrakech a été sacrément appréciée, surtout en sachant que ce n'était pas une jeune fille qui avait fait la corvée d'eau pour emplir le réservoir ! On a vu un hammam en construction dans un jardin : c'était une structure de roseaux entrelacés qui devait être ensuite recouverte de terre.
C'est dans le deuxième gîte (Ait Ahmad), dont l'aïeul était un imam très traditionnaliste (mais très accueillant à notre égard) que nous avons le plus ressenti ce problème d'absence d'eau courante. Une toute jeune fille de moins de 15 ans se trouvait seule à devoir chercher de l'eau pour 18 personnes supplémentaires le soir de notre arrivée et nous avons compris qu'il fallait mettre la main à la pâte. Nos hommes se sont portés volontaires, y compris les trois jeunes, ce qui a d'abord étonné, puis totalement réjoui la jeune fille qui riait de bon coeur et ne se faisait pas prier pour fournir jarres et récipients.
A chaque aller-retour, les réflexions masculines allaient bon train : ils s'étonnaient de la facilité avec laquelle la jeune fille relevait le seau plein depuis le fond du puits et balançait d'un geste souple la lourde jarre dans son dos. Max a essayé d'en faire autant et il s'est trempé tout le tee-shirt - elle aussi était mouillée, il a vérifié - en fait, la jarre était un peu fendue, l'extérieur se mouillait à chaque fois qu'on la remplissait et le bouchon peu étanche laissait l'eau déborder à chaque pas. Ils ont même vu une femme qui suspendait la jarre dans le dos à l'aide d'une cordelette tandis qu'elle en saisissait deux autres dans chaque main : de vraies bêtes de somme ! Le lendemain matin, par contre, la jeune est retournée seule de nouveau chercher de l'eau, les hommes sont vaguement allés dans la direction où ils l'avaient vue disparaître, mais ils n'ont jamais trouvé le puits, plus éloigné que la veille au soir et probablement enfermé dans un des bâtiments (peut-être le premier puits avait-il été vidé par cette ponction inhabituelle ?).
Pendant ce temps, l'excellent cuisinier Mohammed préparait le repas avec l'aide de Hassan et des muletiers en utilisant les aliments emportés à dos de mules (les villages n'avaient pas la capacité de nourrir ponctuellement un groupe si important de personnes supplémentaires, j'imagine). On nous a distribué les matelas portés au-dessus de nos bagages pour compléter ceux mis à notre disposition par notre hôte et nous les avons posés à même le sol dans les deux chambres. Comme chaque soir, avant de nous coucher, nous sommes sortis admirer la Voie Lactée dont nous distinguions même les branches, ce qui est impossible sur notre Côte Basque, et les étoiles dans un ciel d'une pureté extraordinaire, si nombreuses et brillantes que nous n'arrivions pas à reconnaître les constellations, légèrement décalées par rapport à notre ciel nordique. Deux fois nous avons vu des étoiles filantes, dont l'une a traîné si longtemps qu'elle devait presque être de la taille d'une météorite.
Depuis Ait Zitoun, on voyait à l'horizon les lumières rougeoyantes de Marrakech diffuser en demi-sphère sur la ville et se refléter sous un nuage lenticulaire d'humidité poussiéreuse planant à faible altitude. A Ait Ahmad, toute la nuit, l'âne en chaleur s'est plaint de sa solitude et de son infortune, et sur le matin, les coqs du village ont pris le relais. Heureusement que j'avais les boules Quiès ! C'est dans ce deuxième gîte que nous avons dû prendre froid, car nous étions à 1200 mètres d'altitude, avec des fenêtres sans vitres, uniquement obturées par des volets laissant passer les courants d'air - et pas de chauffage, bien sûr -. J'ai dû me rhabiller au milieu de la nuit avant de me refaufiler dans mon sac de couchage étroit. Richard, lui, dormait avec le bonnet de ski sur la tête!
Nous avons beaucoup aimé marcher dans le fond des vallées près des villages, au bord des petits champs irrigués, la vision de ce vert éclatant nous reposait après la symphonie des ocres. Assez curieusement, et bien que l'eau soigneusement captée dans des puits ou des sources et accumulée dans de petites mares paraisse finalement relativement disponible au pied de ces hautes montagnes, les zones fertiles ne sont pas exploitées de façon intensive, contrairement au Sud-Est asiatique où l'on voit des rizières jusqu'au sommet des collines les plus élevées. Ici, les gens visibles (peu nombreux) sont actifs, mais pas frénétiques, leur rythme est lent et ils ne cherchent pas à cultiver plus qu'ils ne peuvent, de nombreux champs apparemment fertiles restent en jachère, souvent avec de petits tas de fumier répartis sur la surface sèche et vide.
Hassan s'arrête près d'un maraîcher en train d'irriguer son champ de pommes de terre. Il bêche les petits talus au fur et à mesure pour faire circuler l'eau dans les sillons, avançant progressivement jusqu'au dernier avant de revenir au départ pour reconstruire la petite digue et détourner le flot. L'homme est content de se faire photographier et de montrer sa technique. Il se laisse admirer par notre groupe avec un sourire débonnaire. Que peut-il bien penser de ces citadins occidentaux ignorants des choses de la terre ?
Un peu plus loin un homme trace des sillons avec une charrue tirée par une paire de mules sous l'oeil vigilant de son père qui s'en va (curieusement) semer là où le soc n'est pas passé (avec l'auguste geste du semeur - en éventail -). J'imagine qu'il ne s'agit pas d'un labour mais d'un enfouissement des semailles ou plutôt le tracé des fossés qui seront suivis par l'eau d'irrigation... Hassan se saisit d'une poignée de grains d'orge dans un sac pour nous les montrer. Au bout d'un moment, le vieux vient récupérer la semence, on a dû l'inquiéter avec nos manipulations.
Plus loin encore, les femmes récoltent le maïs à la serpette. Les épis seront mis à sécher sur les terrasses et le reste servira de fourrage pour la vache qui reste le plus souvent à demeure dans l'étable (il n'y a rien à brouter dehors).
Nous marchons les pieds dans un ruisseau d'irrigation, le long d'autres plantations, plus ou moins reconnaissables, tandis que les aigrettes garzettes au fin plumage blanc planent et virent pour se poser un peu plus loin, en quête des vermisseaux dont elles se nourrissent.
Haut dans le ciel tournoie un rapace qui semble aussi grand que nos vautours fauves, et pareillement bicolore sous les ailes.
Sur les montagnes quasi-désertiques déboulent de temps à autre des troupeaux immenses de chèvres qui passent par des endroits invraisemblables en broutant les buissons secs et durs. Nous restons un bon moment à les observer, particulièrement l'une d'entre elles qui semble trouver un malin plaisir à brouter des feuilles au bord d'un à-pic, et ses sabots se cramponnent aux rochers acérés comme s'ils possédaient des ventouses. Une autre se dresse sur les pattes de derrière pour atteindre les feuilles supérieures d'un arbuste, sans cependant grimper dessus comme on les voit faire sur des arganiers à des altitudes plus basses. D'une torsion de la colonne vertébrale, elle se rétablit sur le sol, à notre grande admiration : que nous aimerions avoir sa souplesse ! Un petit écureuil gris s'enfuit entre deux pierres, Hassan nous désigne de petits oiseaux par leur nom français en décrivant leurs moeurs : il a une passion pour l'ornithologie.
Hassan a un objectif précis avec un groupe comme le nôtre : faire connaître tous les aspects de la vie de ses congénères. Dès la traversée du premier village, il s'arrête au pied d'une mosquée toute simple et nous explique les cinq Piliers de l'Islam qui sont les devoirs incontournables que tous les musulmans doivent appliquer. Ils ne sont pas explicitement soulignés dans le Coran comme le sont les Dix Commandements dans la Bible, mais rapportés dans un hadith prophétique : "L'islam est construit sur cinq [piliers]" (Rapporté par Al-Boukharî et Muslim) (merci à Wikipédia pour me les avoir rappelés).
* Le premier pilier, la Chahada, est l'attestation de foi de la croyance en Dieu et de la prophétie de Mahomet, c'est la plus importante.
* Les cinq prières quotidiennes : (Salat, As-salaat).
* L'aumône : la zakat (Azz-zakaat) est l'aumône aux plus pauvres dans les proportions prescrites.
* Le jeûne du mois de ramadan : (saoum, As-siyam) du lever du soleil à son coucher, le jeûne est prescrit. En cas de maladie qui l'empêcherait ou en état d'impureté (non tahar) (menstruation par exemple), un même nombre de jours doit être jeûné au cours de l'année. Il est recommandé de lire le Coran dans son intégralité durant ce mois, ainsi que l'a fait Mahomet.
* Le pèlerinage à La Mecque : (hadjj, Al hajj) au moins une fois dans sa vie si le croyant ou la croyante en a les moyens physiques et matériels.
Durant le trajet, nous verrons justement Hassan pratiquer l'aumône à une paysanne lourdement chargée à laquelle il donne un peu de l'assortiment de fruits secs dont nous ne voulons plus.
Parfaitement connaisseur de nos mentalités, il entre dans de grandes discussions avec les uns et les autres, notamment sur le sujet de la famille. Tout en reconnaissant que son père a l'esprit très large (Hassan est le 4ème de 7 enfants, vit dans son propre appartement à Marrakech, et "sort" avec Estelle, une Française, depuis quelques mois, mais c'est son père qui lui a enseigné son métier de guide, puis il a suivi une formation dans la première école du pays ouverte dans sa vallée d'Azilal, complétée d'une spécialisation de guide de moyenne montagne dans les Alpes françaises), il insiste sur la très grande importance du respect des enfants envers l'autorité de leurs parents. Il trouve impensable (et même à la limite scandaleux, même s'il ne le dit pas) que l'on puisse "placer" les anciens en maison de retraite : les enfants ont le devoir de s'occuper personnellement des parents jusqu'au bout, même et y compris si cela signifie le sacrifice de l'un des enfants (et bien plus probablement de la belle-fille, je pense in petto, sans le lui dire).
En fait, dans ces villages, il semble que chacun ait sa place, selon ses moyens. A Ait Ahmad, nous voyons un jeune qui semble un peu débile et qui, paraît-il, est né sans langue (signe d'une consanguinité probable au fond de ces vallées d'où les gens sortent peu) qui s'occupe à garder les chèvres. A Ait Zitoun, une petite fille très vive affublée d'un bec de lièvre réclamait avec insistance de jouer avec nous aux cartes : ce sont les mêmes cartes espagnoles que celles utilisées pour le mus qui servent au Maroc. A Imin'Tala, chez la propriétaire du dernier gîte (une femme, contrairement aux deux jours précédents où c'était des hommes), trois petites vieilles font du tissage, la plus ancienne, presque aveugle, est chargée de faire les noeuds. Notre hôtesse explique que les grands tapis sont réservés à l'usage familial alors que les petits (dont elle va nous chercher un exemplaire que je trouve moins beau et moins typique que celui qui est en cours sur le métier à tisser) sont vendus aux touristes.
Hassan nous a amenés chez elle pour nous faire voir comment on fait traditionnellement le pain. Ce qui est amusant, c'est qu'en fait, pour leur propre consommation, les femmes le cuisent au four à gaz, et non plus contre la terre cuite qui entoure le foyer de la cheminée... La démonstration était juste pour les touristes ! La cuisine offre d'ailleurs un mélange pittoresque de tradition et de modernité, de même que les autres pièces de la maison, dont la terrasse est équipée d'une parabole affublée d'un linge sur le capteur, signe que la télé ne fonctionne pas beaucoup.
Le roi a décidé qu'à l'horizon 2010 tous les villages auraient l'électricité, la première chose qu'ils installent chez eux est donc la télé (et la lumière dispensée par des ampoules nues au bout de fils apparents qui courent le long des murs et des plafonds). Par contre, Hassan n'a pas parlé d'une installation générale de l'eau courante ni d'égouts dans les villages... Comme en Espagne avant - et aussi en France il y a encore plus longtemps -, les Marocains ne semblent pas sensibles à la crasse ambiante. Les alentours de Marrakech sont parsemés de plastiques, de même que les ordures sont jetées autour des maisons dans les villages. Nous avons vu des ruisselets courir dans les ruelles de terre et de roche, mais j'ignore s'il s'agissait des eaux usées. Par contre, j'ai eu le sentiment que les Marrakchis faisaient un effort méritoire pour nettoyer leur ville, au moins dans le centre touristique et les beaux quartiers. Nous avons vu sur la place Jemaa El Fna de la Médina une camionnette arroser le sol et des balayeurs un peu partout dans les ruelles. Il y a aussi un ramassage d'ordures organisé dans les souks par des hommes qui tirent des charrettes à bras en criant dans la foule pour se frayer un passage.
J'ai demandé à Hassan si ce sont les hommes qui obligent les femmes à se couvrir de voiles y compris sur le visage, et je me suis fait fusiller du regard : selon lui, il s'agit réellement d'une décision indépendante de leur part, un simple signe de grande foi et pratique religieuse. N'ayant pas eu l'occasion d'en interroger (il n'y en avait qu'à Marrakech, et encore, pas en très grand nombre, et aucune dans les villages berbères), je ne me prononce pas.
Autre sujet un peu difficile à aborder, celui du roi : sa photo trône partout, quelle que soit l'opinion du propriétaire de la maison, gîte, magasin ou autre. C'est obligatoire et l'on n'en parle pas.
Les pauses de midi et les veillées le soir ont été marquées par des parties de cartes acharnées (mus et tarot) et nous avons également chanté, ce qui a plu à Hassan et Mohammed qui se sont joints à nous pour chanter les chansons françaises qu'ils connaissaient et nous en enseigner une en arabe (ou berbère ?). Pierre et moi aurions bien aimé qu'ils nous racontent des histoires, alors, comme ils ne savaient que dire, ils se sont procuré le dernier soir de grands tambourins et nous ont chanté des chansons traditionnelles berbères en éclatant de rire au milieu et en bavardant entre chaque avec un grand naturel. Ce n'était pas préparé, juste le plaisir d'être ensemble et de nous faire part de leurs coutumes - chant de mariage, chant de fête, chant improvisé, tous plus ou moins répétitifs à notre oreille mais accompagnés au tambourin d'un rythme implacable et varié à la fois : impressionnant et très intéressant ! -. Après, ils nous ont fait passer à la ronde les tambourins pour qu'on essaie à notre tour, et ce n'était pas facile ! Enfin, on leur a réclamé le jeu de cartes qu'ils avaient promis de nous apprendre et on a joué tous ensemble, muletiers y compris, en riant à coeur joie.
En ce qui concerne notre acheminement en avion depuis Madrid, rien ne nous aura été épargné. Nous étions pourtant partis avec de la marge, vers les 8 heures et demie, mais des travaux et la circulation nous avaient un peu ralentis entre Saint Sébastien et Vitoria. Arrivés à l'aéroport de Barajas, nous sommes perplexes : il y a un nouveau terminal T4 mais la signalétique n'indique pas s'il dessert des destinations privilégiées. Nous optons pour l'ancien aéroport, nous nous garons, demandons des nouvelles de notre compagnie Atlas Blue - inconnue au bataillon - et de notre vol qui ne figure sur aucun des panneaux d'affichage ! Ici, ils n'aiment pas les compagnies low-cost, pourtant nous voyons le guichet d'Easy Jet qui trône dans l'entrée, mystère...
Evidemment, c'était à l'autre terminal qu'il fallait nous rendre. Nous rechargeons les bagages dans la voiture et plongeons en direction du T4 à travers un entrelac de voies rapides qui nous amène à un départ d'autoroute : nous sommes obligés de payer pour faire 500 mètres et accéder au T4 ! Là, nous parcourons des kilomètres de couloirs pour enregistrer les bagages et l'on nous annonce qu'il faut prendre le train (une sorte d'Orly-Val automatique) pour gagner la zone d'envol. Fort heureusement, le vol a été retardé d'une heure (soit-disant une erreur sur les billets due au passage à l'heure d'hiver au cours de cette nuit du 28 octobre), parce que sinon nous l'aurions raté, c'est sûr, mais finalement, l'avion part avec une demi-heure d'avance par rapport au nouvel horaire annoncé, enfin, on s'en moque, nous sommes assis dans l'avion, mais ce n'est tout de même pas banal !
A Marrakech, nous descendons directement sur le tarmac pour marcher jusqu'au très joli aéroport dans les ocres-rose garni de plantes à l'extérieur. Après le dédale de Madrid, c'est l'administration kafkaïenne marocaine : nous attendons une heure entière au contrôle des passeports sans avancer d'un centimètre, nous demandant ce qui se passe : notre tour enfin arrivé, nous voyons que le préposé recopie avec trois doigts sur son clavier tous les passeports un à un, quelle patience ! Nous croyons ne jamais pouvoir entrer dans le pays. Enfin, il nous laisse passer et après avoir récupéré nos bagages, nous avons la joie de trouver Hassan, un panneau "Rando-Berbère" à la main, en train de nous attendre placidement - il a l'habitude des tracasseries marocaines -.
La circulation marocaine nous affole, autant sur la route (pas très longue) qui relie l'aéroport à la ville que dans Marrakech proprement dit. C'est le foutoir ! Ce qui est étonnant, c'est que personne ne s'énerve, les conducteurs les plus rapides klaxonnent un peu et zigzaguent avec virtuosité entre cyclistes, mobylettes lourdement chargées avec des marchandises ou deux ou trois personnes serrées comme des sardines, triporteurs, charrettes à bras ou tirées par des ânes (ou des mules), petits taxis jaunes, camions, bus, voitures en panne poussées par leur propriétaire... et piétons archi cool en plein milieu qui préfèrent la chaussée au trottoir !!! Rien que pour traverser l'Avenue El Mouahidine qui sépare notre hôtel du jardin public qui mène à la place Jemaa El Fna, nous avons l'impression de risquer mille fois notre vie ! Nous avons même vu un handicapé en fauteuil roulant circuler là-dedans...
Nous avons la surprise d'arriver dans un bel hôtel colonial aux proportions imposantes - Le Foucauld - : zelliges, stuc sculpté, divans et tapis suspendus aux murs, un peu vieillot mais bien supérieur aux frustes hébergements que nous avions connus à Londres, Dublin et Rome - ici, c'est le grand luxe pour un prix modique -. J'avais cherché à réserver par Internet un riad que l'on m'avait indiqué, mais, ne recevant pas de réponse, j'avais dû téléphoner deux fois (avec un correspondant super-mou et lymphatique au bout du fil) pour finalement apprendre - par mail - qu'il ne pouvait pas nous héberger et nous redirigeait vers un autre riad qui ne m'a jamais répondu. Grâce à Hassan, toutes les difficultés ont été aplanies, dans le prix qu'il nous proposait étaient compris l'acheminement de l'aéroport à un hôtel réservé par lui, le transfert de l'hôtel à la montagne et le circuit de randonnée avec gîtes, hammams et muletiers et cuisinier - il aurait même pu nous faire une visite guidée de Marrakech si nous avions voulu - !
Nous retrouvons ce même hôtel à notre retour du circuit et visitons Marrakech à pied - et en calèche ! - où nous découvrons les souks : dur-dur, le soir de notre retour du circuit où nous étions au calme en pleine nature, nous avons un sacré choc. Il faut dire qu'il y a eu la canicule dès l'aube, il faisait trop chaud pendant le pique-nique et notre retour en minibus, et nous avons voulu redémarrer trop vite après une petite sieste et une bonne douche. Car les souks, c'est à voir pour ne plus jamais y retourner ! Des commerces partout (moi qui ne supporte pas), une foule très dense (idem) traversée de mobylettes bruyantes et nauséabondes, de motos, de vélos, de charrettes à bras ou tirées par des mules et même des voitures dans des ruelles super-étroites, c'est dément, surtout qu'ils arrivent à fond les manettes, sans freiner, juste un appel pour que les gens s'écartent ! Sans parler des odeurs, de visions d'horreur du genre poulets vivants découpés sous nos yeux avec le volailler qui patauge dans les entrailles, de poissons étalés sur des moquettes synthétiques sans glace ni fraîcheur, de cervelles géantes sanguinolantes déposées sur le comptoir, de mendiantes étalées par terre avec ou sans gosse, d'éclopés divers et variés, nous sommes à la Cour des Miracles ! Trop, c'est trop ! Seul aspect positif, la population est très accueillante, nous ne sommes pas harcelés par des vendeurs ou des quémandeurs, simplement hélés, mais sans insistance, et pas par tous. Quand nous n'en pouvons plus, on nous renseigne volontiers pour nous indiquer la direction de l'hôtel.
De temps en temps, nous échappons à la cohue et devinons qu'une porte luxueuse doit cacher un riad (jardin en marocain, et par extension maison bourgeoise transformée en hôtel). Nous longeons une école dans une jolie rue, rencontrons un vendeur d'huile d'argane sympathique qui nous repère comme étant des marcheurs et nous montre sur le petit écran de son ordinateur dans sa boutique le film qu'il a réalisé sur son ascension du Toubkal.
Nous profitons de notre journée de libre pour visiter le Musée Dar Si Saïd. Il s'y trouve un jardin-patio planté d'arbres fleuris magnifiques peuplés d'oiseaux innombrables qui pépient et volètent en tous sens. Nous restons un long moment sous le charme, avant de continuer la visite de ses salles somptueuses ornées de zelliges, stuc sculpté et peint et plafonds de bois peint (sans parler des collections très intéressantes qui sont exposées). Puis nous nous dirigeons vers le tout aussi somptueux palais de la Bahia avant de conclure avec les jardins de Jacques Majorelle.
Lorsque Hassan vient nous chercher à l'hôtel pour nous reconduire à l'aéroport, Richard dit en plaisantant au reste du groupe "A tout à l'heure !". Il ne croit pas si bien dire. Lorsque nous arrivons dans l'aérogare, il se précipite dans une file avec un panneau Ibéria dont l'heure de départ est proche de celle de notre vol avec Atlas-Blue, mais le numéro ne correspond pas. Je le laisse attendre là avec Jean-Louis, Jonathan et Anna, et je pars me renseigner : j'apprends avec horreur que notre vol a été purement et simplement annulé ! On m'envoie à un autre guichet où j'espère trouver une solution rapide au problème sans prévenir les autres, pour ne pas les affoler inutilement.
Pendant ce temps, ils ont avancé dans la file et commencent à s'inquiéter (et s'énerver) de mon absence et me font appeler par haut-parleur (je n'entends rien, je suis en train de batailler pour trouver un autre vol au fond d'un bureau). Ils finissent par apprendre que le vol Iberia est surbooké et que les derniers passagers ne peuvent embarquer (ils n'ont pas encore saisi que ce n'est pas notre vol et qu'il s'agit d'un autre problème).
Bref, je finis par les rejoindre après avoir vu qu'aucune solution rapide n'était possible et je les mets au courant. Puis je cherche à voir un responsable d'Atlas Blue (injoignable, évidemment), dont le bureau est au-delà des travaux d'agrandissement de l'aéroport dans un bâtiment éloigné, je reviens aux nouvelles, je repars au même endroit voir si nous pouvons trouver des places sur Easy Jet, compagnie avec laquelle les 7 autres membres de notre groupe repartent. Evidemment, le vol est complet et le prochain est prévu pour le lendemain soir tard. Je reviens voir où en sont les autres au premier aéroport, repars m'enquérir des prix (très onéreux) des billets d'Easy Jet, retourne demander leur avis aux hommes qui m'attendent toujours, assis dans le hall à picorer mandarines et dattes... Je n'en peux plus, il faut que je me restaure. Jean-Louis prend le relais (des heures se sont déjà écoulées depuis que nous avons appris l'annulation de notre vol et nous avons vu nos 7 compagnons de voyage partir sans encombre, nous abandonnant à notre triste sort avec un peu de honte).
Il faut dire que je bataille ainsi parce que Atlas Blue et les responsables de l'aéroport passent leur temps à se renvoyer la balle, nous envoyant périodiquement un gars, puis un autre, nous laissant dans l'incertitude la plus totale, disant qu'ils nous trouveront un vol de retour d'ici le soir, ou alors dimanche, ou peut-être lundi (jour de mon opération à l'épaule et de la reprise du travail de Jean-Louis et Richard), que nous passerons la nuit à l'aéroport, que l'on nous trouvera un hôtel, etc., etc. Nous finissons par comprendre au fil des heures que nous sommes 43 personnes en rade (sans compter le surbookage d'Iberia), que notre vol a sans doute été annulé parce que Atlas Blue, filiale de Royal Air Maroc, trouvait que nous n'étions pas assez nombreux pour rentabiliser le trajet. Le problème est rendu plus aigu encore pour ceux qui passaient par Madrid et continuaient plus loin (Baléares, Londres, Le Caire) et ont raté leur correspondance : ce sont eux qui crient le plus fort et assourdissent le pauvre clampin envoyé sur le front pour nous faire patienter et qui n'en sait pas plus que nous.
Au bout de 7 heures, il fait nuit noire et les choses semblent s'arranger pour nous, mais comme on nous a tellement baladés et soufflé le chaud et le froid, nous ne sommes sûrs de rien. Un gars est au téléphone, énervé, en train d'appeler des hôtels et riads pour nous héberger cette nuit du samedi soir (apparemment, Marrakech est plein comme un oeuf et cela semble une gageure, surtout qu'il cherche à nous regrouper en grands groupes pour limiter les accompagnements en minibus qu'il a dû aussi faire venir). Un premier groupe part, ce sont les Espagnols, puis un second. Puis il dit qu'il a trois chambres de deux, il lui faut six personnes (nous sommes 5, et nous nous joignons à un couple de jeunes Polonais), et je me dépêche de lui dire que cela ne nous gêne pas du tout de dormir sur un matelas supplémentaire par terre. Ouf, ça marche ! Le jeune envoyé par le riad est d'accord, doit-il nous préparer à manger ? In petto, je demande au gars d'Atlas Blue s'il prend en charge le dîner et le petit déjeuner. OK ! C'est parti...
Le minibus nous emmène dans la partie du souk la plus sordide, maintenant au repos, les échoppes aux volets fermés et toutes les ordures répandues dans les ruelles au sol inégal de terre battue. Nous attendons quelques instants devant une mosquée et le jeune du riad nous emmène, traînant nos valises, par des ruelles de plus en plus étroites... Une lourde porte décorée s'ouvre, et nous nous retrouvons au paradis. Au centre du patio, dans un bassin en forme d'étoile flottent des roses multicolores. Les lumières tamisées éclairent des loggias d'un luxe confortable et discret. Les balustrades attirent nos yeux vers le ciel étoilé. L'escalier éclairé de bougies à chaque marche nous mène à la terrasse dont un coin abrité d'une tente à la berbère est équipé de divans en angle droit autour de tables basses : c'est là que nous dînerons. Nos chambres au rez-de-chaussée sont doucement éclairées par onze lampes (Richard le statisticien les a comptées), la salle de bain est comme un rêve. Nous oublions tous les tracas des heures passées et nous nous laissons dorloter.
Le lendemain matin, lever 4 heures, petit déjeuner extraordinaire en présence du maître de maison très distingué qui s'excuse de "cet en-cas frugal" et nous souhaite un bon retour. Une fois encore, à l'aéroport, la machine administrative marocaine nous freine : les Polonais doivent batailler tant et plus en anglais au téléphone pour obtenir que le guichetier accepte d'enregistrer leurs bagages et les laisse partir - et pendant ce temps, nous attendons derrière et voyons l'heure tourner, allons-nous manquer le départ ? -. Après un dernier contrôle de passeport infiniment long (nous piétinons), Jean-Louis pousse un hourra très malvenu, il est foudroyé du regard par le dernier cerbère qui marmonne en arabe, et nous courons à l'assaut de notre avion : nous sommes presque les derniers et il est en retard, il attend que tous les passagers soient montés, heureusement que ce n'est pas comme le train !
Ce voyage au Maroc nous travaille tous en profondeur, c'était une expérience inédite pour la plupart d'entre nous, à l'exception de Pierre et Rose, que de partir ainsi dans une région désertique du globe à la fois si proche et si éloignée de nous. Je m'étais posé la question de l'apport ou non d'objets (stylos, cahiers, livres...) à distribuer sur notre passage, et j'avais pris la décision de n'en rien faire, pour une raison d'abord pratique - nous étions à pied, avec un petit sac à dos pour l'eau, et les bagages dans les paniers des mules -, mais surtout parce que j'avais l'intime conviction, étayée par mes lectures, que ces aumônes étaient pernicieuses et causaient plus de tort que de bienfaits.
Hassan, notre guide, semblait de mon avis et spécifiait sur son site Internet de ne rien distribuer aux enfants sur notre passage, pour ne pas les encourager à la mendicité. Il a d'ailleurs rappelé son injonction après que Michèle ait craqué à la vue de deux mignonnes petites filles qui se tenaient par la main à distance lors de notre premier pique-nique et qu'elle les ait appelées pour leur donner des bonbons (alors qu'elles ne demandaient rien). Elles ne se sont d'ailleurs pas précipitées, il a fallu les apprivoiser, Michèle leur posait des questions en arabe pour savoir leur nom et où était leur maison, mais elles répondaient à peine. Elles ont fini par accepter les bonbons mais ne les ont pas mangés immédiatement, pour elles, cela ne paraissait pas des friandises attendues et convoitées comme pour les enfants de chez nous. Hassan n'est pas intervenu sur le moment, n'a rien empêché, mais en reprenant la route, il a réitéré au groupe l'interdiction de distribuer des choses aux enfants. Effectivement, sur notre passage, beaucoup de villageois, et pas seulement les enfants, nous réclameront par la suite des stylos en réponse à notre bonjour et nous serons obligés de leur répondre que non, nous n'avons rien pour eux...
Hassan travaille pendant ces quatre jours à nous faire comprendre que les villageois que nous croisons vivent différemment de nous, mais qu'ils sont heureux ainsi : ils n'ont ni faim ni soif, disposent du nécessaire (ils sont effectivement fort bien habillés et soignés, particulièrement les femmes dans leurs vêtements berbères aux couleurs éclatantes), vivent en symbiose avec leur environnement, imprégnés de leur religion et unis par des liens familiaux indéfectibles bien plus efficaces, selon lui, que toutes nos lois sociales...
Certes, la désertification pose problème, le bois se raréfie, la campagne n'arrive pas à nourrir toutes les bouches de ces familles nombreuses, les fils doivent s'exiler en ville ou à l'étranger pour y travailler et envoyer une partie de leurs revenus à ceux qui sont restés au village.
Tout n'est pas rose, et c'est la raison pour laquelle il milite au sein d'une association d'aide au développement dans sa vallée d'Azilal, un peu plus au Nord. Elle a tenté des actions dans divers domaines, l'artisanat entre autres, mais ce qui marche le mieux, c'est ce qu'il fait, l'activité touristique. Seulement, les villageois de l'Atlas ont encore très présente à l'esprit l'époque du Protectorat français, et le tourisme, c'est servir. Je n'avais pas vu les choses sous cet aspect, il est vrai qu'on parle des services, mais pour moi, c'est une branche de l'économie, et je n'avais pas fait le lien avec l'idée d'un nouvel abaissement à l'égard des anciens colonisateurs. Lors de la préparation de chaque nouveau circuit, Hassan part en croisade, il explique les bénéfices que peuvent retirer les villageois en nous accueillant chez eux, sur le plan financier bien sûr. Ceux qui acceptent doivent aménager les gîtes pour nous offrir un confort dont ils n'éprouvent pas personnellement le besoin.
Par exemple, à Ait Ahmad, le vieil imam a investi dans les toilettes à la turque (je pense quand même que le hammam était là avant). J'ai vu la mère de famille faire faire ses besoins au plus jeune de ses enfants dehors, contre la maison dans le froid et le noir. Par conviction (et entêtement, disait Hassan), il ne veut rien faire de plus (et pas seulement par manque de moyens). Ce village ne bénéficie de l'électricité que depuis deux petites années (pour la lumière et la télé, pas pour faire la cuisine ni quoi que ce soit d'autre, à ce qu'il m'a paru). Hassan nous a expliqué qu'une agence, qui effectue le même circuit, ne fait plus dormir ses clients chez lui parce que le confort y est par trop insuffisant. Nous, nous y sommes allés car il juge que cette famille très pauvre a besoin d'aide, fût-ce au prix d'un petit effort de notre part (c'est dans ce gîte que les hommes ont aidé spontanément la jeune fille dans sa corvée de l'eau).
Hassan a aussi demandé que la jeune fille nous aide à nous laver dans le hammam (seulement les femmes). Nous étions très gênées, autant qu'elle d'ailleurs. Elle est entrée toute habillée dans l'étuve, avec son pull, ses chaussures et son foulard, et nous (les femmes) étions en petite tenue (maillot de bain ou culotte et soutien-gorge - elle n'aurait pas supporté la vision de notre nudité). Hassan lui avait expliqué qu'elle devait nous masser et nous aider à nous savonner et nous rincer. Seule Michèle s'est laissé faire, car elle vivait au Maroc étant jeune, cela lui a rappelé des souvenirs, par contre nous autres avons préféré la payer à ne rien faire (juste s'attraper une bonne suée). Ainsi, nous avons pu lui donner personnellement de l'argent, ce que nous n'aurions pas pu faire pour son portage des lourdes jarres d'eau, considéré comme naturel. Ce que nous espérons, c'est qu'elle a pu en profiter et qu'elle ne l'a pas reversé à son père...
Donc, même lors de ce circuit pédestre avec hébergement chez l'habitant, nous introduisons sans le vouloir de nouvelles valeurs dans les vallées encaissées des montagnes, de nouveaux besoins (eau courante, douche, WC, cuisson au gaz, fenêtres vitrées, tenues vestimentaires - surtout pour les hommes et garçons, vêtus pour la plupart à l'occidentale -, ameublement et décoration intérieure, doublement de la surface habitable), et peut-être aussi une nouvelle image de la femme et des relations hommes-femmes en circulant en groupes mixtes, ainsi que l'idée de vacances et de voyages à l'étranger - une envie de liberté ? -. Le jeune sur la photo ci-dessus, assis à côté de sa mère sur la terrasse de sa maison, a un regard qui laisse deviner que notre passage ne le laisse pas indifférent. Sa maison est à l'aplomb d'une falaise, et nous nous tenons sur la piste en contrebas pour une pause boisson. Hassan a noué en turban les écharpes de Xavier et de Jean-Louis, ce qui nous fait beaucoup rire, et nous les prenons en photo. Sur ce, un jeune garçon - son petit frère, peut-être - avance à notre rencontre, un soc de charrue sur l'épaule. Hassan l'arrête pour nous montrer l'instrument et nous en expliquer le fonctionnement. Voilà ce que l'adolescent observe de son promontoire, spectacle qui n'est apparemment pas de son goût. Peut-être imagine-t-il que nous nous moquons de leurs instruments antiques et du manque de machines agricoles ?...
Nous traversons une forêt de pins d'Alep aux aiguilles douces et aux effluves délicieux de résine surchauffée par le vif soleil de cette fin octobre éblouissante. Elle s'arrête malheureusement très vite, les arbres se rabougrissent et se dessèchent vers le sommet de la colline avant de disparaître totalement. Les Français avaient entrepris une campagne de reboisement, construisant de loin en loin des maisons forestières d'un style ridiculement déplacé, avec un toit de tuile à deux pentes, et reliées par une piste pour la circulation des véhicules. Hassan nous dit que cette politique est poursuivie, mais je me demande si la volonté du roi est assez forte. Les villageois coupent du bois tous les jours pour le chauffage du hammam et la cuisson de leurs aliments, les brebis et les chèvres (il y en a 17,5 millions de têtes, soit un ovin pour deux personnes) parcourent en permanence les étendues en dévorant toutes les maigres plantes, même quand nous avons l'impression, de loin, qu'il n'y a rien que la terre nue, ocre et sèche. Les arbres, s'ils avaient quelque velléité de pousser, seraient arasés dès l'apparition de la première pousse. Pourtant, quand je dis à Hassan que les troupeaux contribuent à la désertification de son pays, il n'y croit pas.
Je n'ai pas vu d'arrosage au goutte à goutte avec des tuyaux, je crois qu'il n'y avait qu'un panneau solaire (sans doute pour chauffer l'eau) dans le plus gros et plus prospère des bourgs traversés, Imin'Tala, où nous avons vu aussi une cuisinière à gaz. Hassan dit que l'énergie solaire (les panneaux photovoltaïques) n'est pas encore assez rentable pour être utilisée, il a pu le constater dans son entourage qui a essayé de s'y convertir. Beaucoup de temps et d'énergie sont perdus qui pourraient être mieux employés, notamment en ce qui concerne les femmes : la corvée de l'eau, le lavage du linge à la main près du ruisseau, la récolte des céréales à la faucille (pourquoi se plier en deux comme elles font alors qu'elles pourraient au moins utiliser des faux ?). Du moment qu'ils savent irriguer depuis des siècles, pourquoi ne pas mettre l'eau courante dans les maisons ? Sans bouleverser les habitudes, des améliorations pourraient être apportées sans doute, mais il faut pour cela que les jeunes qui étudient et ont accès aux informations puissent influencer leurs aînés (qui sont investis de l'autorité suprême, insistait Hassan, et envers lesquels les jeunes doivent obéissance et respect).
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