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(suite)
De retour au monastère, nous avons la surprise de trouver une foule de voitures parquées en tous sens. Une ambiance festive règne. C'est la manifestation annuelle antimilitariste et contre la zone militaire des Bardenas. En effet, nous trouvons agréable de nous y promener le week-end, mais cela devient insupportable en semaine car c'est une zone d'entraînement pour les avions de chasse qui la survolent en permanence. Les Espagnols sont venus en famille manifester. Ils utilisent les aires de grillades, un marchand de glaces ambulant et une camionnette emplie de colifichets ont accompagné la foule. Des musiciens ont formé un orchestre, des groupes chantent des chansons basques ou espagnoles, j'entends à un moment donné l'Internationale reprise en chœur par de nombreux participants. Les enfants, petits ou grands, courent en tout sens et grignotent tout l'après-midi. Nous nous remémorons une affiche vue la veille au soir dans le village qui annonçait la manifestation pour le coup de midi. En fait, elle se prolongera jusqu'à minuit. Nous réussissons à insérer nos voitures chargées de vélos dans ce capharnaüm et rentrons dans nos chambres épargnées par la foule qui occupe tout le bas du monastère. Nous sommes inquiets : l'eau ne marche encore que par intermittence et nous craignons de ne même pas pouvoir nous doucher. Enfin après quelque attente elle finit par s'écouler plus régulièrement et nous laissons la priorité à la moitié du groupe qui doit déjà regagner la France. Après leur avoir fait nos adieux, nous prenons la suite et, après un peu de repos, descendons goûter l'atmosphère joyeuse et bon enfant, quoique bruyante, qui règne en bas. La propriétaire nous annonce au passage que notre dîner risque d'être passablement retardé (alors que justement nous voulions manger de bonne heure) et nous invite chaleureusement à aller nous restaurer à Tudela, la ville voisine.
Quelle bonne idée ! Nous nous y rendons dès 7 heures et demie et découvrons une ville superbe. Déjà, les rives de l'Ebre sont un enchantement pour nos yeux éprouvés par la lumière éblouissante des Bardenas. De grands arbres étirent leurs branches vers les eaux généreuses et une herbe grasse et verte invite à s'y étendre pour prendre le frais. Le pont élégant, flanqué de part et d'autre de lampadaires à l'ancienne à trois lanternes conduit directement à la vieille ville dont nous voyons par dessus les toits proches s'élever la haute cathédrale de style romano-gothique du 12ème-13ème siècle. Nous nous garons rapidement et partons en quête d'un restaurant tout en visitant la ville. A cette basse altitude, le vent ne souffle pas et l'air du soir est d'une douceur irréelle. Le nez levé vers les édifices anciens, nous découvrons sur fond de ciel bleu profond les cigognes qui nichent par dizaines sur tous les bâtiments élevés. Le clocher à lui seul comporte au moins huit nids de taille imposante dont nous voyons émerger la tête des petits. Nous avons l'impression d'être en Andalousie et regrettons que ces oiseaux superbes n'utilisent notre région du Pays Basque que comme un lieu de transit vers des contrées plus chaudes et moins pluvieuses. Nous contournons la cathédrale et restons figés devant le portail du Jugement, aux multiples personnages sculptés qui illustrent le Jugement dernier. C'est dommage qu'il n'y ait pas de recul, mais pour profiter des sculptures, il faut les examiner de près. Jean-Paul les prend en photo sous toutes les coutures et je me plais à détailler les diverses scènes. Sur la droite sont figurés tous les supplices possibles et imaginables et ce serait risible si nous n'avions pas conscience que les sculpteurs ont dû se baser sur des exactions bien réelles de leur époque. A gauche se tiennent les "bons", ceux dont l'accès au paradis est assuré. Je m' étonne que cette partie ne reflète pas le bonheur qu'elle aurait dû inspirer : aucun sourire, aucun air heureux, des gens raides dans des attitudes compassées et convenues, j'ai le sentiment en voyant ces personnages que leurs auteurs n'arrivaient pas à concevoir en quoi pouvait consister le bonheur.
Nous reprenons notre cheminement dans des rues calmes où nous admirons de loin en loin des maisons superbes dans leur architecture ou leur ornementation. Des assiettes décoratives suspendues à l'extérieur dans l'embrasure des fenêtres d'une maison nous transportent de nouveau en pensée dans l'extrême sud de l'Espagne. Une autre les a intégrées dans le crépis d'un mur aveugle. Nous finissons par trouver un bar à tapas excellentes, variées et bon marché puis partons en quête de glaces pour notre dessert. Chemin faisant, nous arrivons sur la plaza de los Fueros qui fit office d'arènes au 18ème siècle, où nous jouissons autant de la beauté de l'esplanade (un peu gâchée par la circulation des voitures) que du manège des cigognes juchées sur les toits et les cheminées.
De retour au monastère, je profite du départ de nombreux touristes pour m'exiler dans une chambre voisine dès les premiers ronflements : quel repos divin ! Le lendemain, nous quittons les Bardenas pour montrer à nos compagnons le site de la route des dinosaures (récit du séjour d'avril dernier) dans la Rioja alta avant de revenir en France sans encombre.
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