Rodellar : Canyoning au rio Mascun
7, 8 et 9 juin 2003
Participants : non déterminé, voir les textes et les photos
Le récit de Cathy
Nous passons le week-end de Pentecôte en Aragon oriental, au camping "El Puente" situé à moins d'un kilomètre du village de Rodellar, qui domine le canyon creusé par le rio Mascun. Pierre et Rose nous avaient fait découvrir ce site impressionnant l'an dernier, mais nous n'avions fait que parcourir la partie la plus accessible à pied. Cette fois, des guides vont nous faire descendre le Barrasil, un de ses affluents, à l'abord plus aisé et plus ludique que le Mascun Superieur, où de bonnes compétences techniques et sportives sont exigées (départ à la fraîche - 7 heures du matin -, descente en rappel de 40 mètres, en partie sous une cascade, parcours d'une durée de 5 à 8 heures selon les niveaux). Celui-là, ce sera pour l'an prochain, avec une équipe bien préparée.
Le week-end a bien mal commencé : au lieu des 3 heures 1/2 - 4 heures de trajet escomptées, il en aura fallu au moins 6 aux premiers pour arriver à destination. Nous étions d'abord allés à Nocito l'an dernier, et j'ai pensé (grosse erreur) que nous pourrions aller plus directement au Mascun, soit par le sud (Saint Sébastien, Pampelune), soit par le nord (autoroute de Pau jusqu'à Lannemezan, tunnel de Bielsa). En fait, il aurait fallu prendre le tunnel du Somport nouvellement ouvert (nous l'avons constaté au retour) et passer par Jaca, Sabiñanigo et Huesca. Nous le saurons pour la prochaine fois.
En plus, j'étais inquiète car Pierre m'avait avertie que la gérante du camping lui avait fait faux bond il y a 2 ans, préférant louer au dernier moment les bungalows à des clients venus pour la semaine, plutôt qu'à son groupe qui ne venait qu'un week-end : il avait dû chercher en dernière minute un autre point de chute. Mais là encore, il y avait sans doute méprise car, en fait, il y a 2 campings à Rodellar (ce que j'ignorais car un seul figure sur internet et je n'avais aperçu l'an passé que celui qui est à l'entrée du village) et je pense que celui-ci, légèrement moins bien placé puisqu'il est situé à un kilomètre avant le village, en bas d'une pente vertigineuse de 800 mètres, peut moins se permettre un comportement aussi peu commercial.
Enfin, nous finissons par être tous réunis. Une petite promenade le long du Barrasil et un plouf dans l'eau fraîche radoucissent les humeurs. Les bungalows sont de véritables petites maisons en dur au toit de tuiles rouges, lambrissées à l'intérieur et abritées à l'ombre de grands arbres.
Pour le dîner, nous réservons des tables à la grande terrasse couverte du camping où l'on nous sert une immense paëlla pour 15. La clientèle est majoritairement française, sportive et mince. Quelques familles avec de jeunes enfants profitent également du cadre idyllique.
Nous avons tous plutôt mal dormi. Fatigués par la longue route de la veille, gênés par le changement de lit et d'environnement, par la chaleur nocturne inhabituelle et par l'orage qui s'est déclenché violemment vers 5 heures du matin, auquel a succédé de fortes averses, nous avons de la peine à émerger le lendemain. Au cours de la nuit, je m'étais presque faite à l'idée que l'activité serait annulée, vu le temps. Mais le soleil est revenu et nous avons rendez-vous à 9 heures derrière l'église de Rodellar, dans le local des guides de canyoning, il faut nous dépêcher.
Christine G. part devant, avec Serge et 3 grands ados. Nous emmenons le 4ème avec Cédric, Jonath et Anna. Jeannot amène Christine et Mikel, tandis que Fereydoun dépose Jean-Luc et ses 2 enfants. Cela fait un total de 16 participants pour 2 guides (plus une apprentie) qui baragouinent un français très approximatif. Sylvie reste au camping tranquille (?) avec son bébé et les 2 petites de 7 ans, Diana et Ramona. Jean-Louis B., Elisabeth, Jeannot et Fereydoun font une marche dans les environs.
Nous sommes obligés de garer la voiture loin du village, le long de la route étroite déjà très encombrée de véhicules qui occupent un bas-côté. Le soleil matinal offre une luminosité encore douce mais déjà très nette et j'admire sans retenue le paysage. Rodellar est un petit village très pittoresque qui ne vit que grâce au tourisme, principalement français. Il change à grande vitesse, et plusieurs chantiers sont en cours de réhabilitation de l'habitat local. Pas de magasins, mais un bar qui ne désemplit pas, et une église superbe. Tout près se dresse une maison aux sculptures originales et je retrouve également à proximité ces cheminées aragonaises monumentales que j'adore.
Jardins et balcons sont fleuris, et des enfants en bas âge regardent avec intérêt tous ces sportifs déambuler sous leurs fenêtres. Les pierres dont sont bâtis les murs ont la couleur chaude des falaises alentour qui me fait penser (en moins lumineuse, mais tout aussi jolie) au Périgord.
Ne sachant pas exactement combien j'aurais d'adultes pour l'activité, j'ai préféré un départ de Rodellar même, afin qu'il n'y ait pas de problème de transfert avec nos voitures. On ne m'a pas précisé que la conséquence logique était que nous marcherions jusqu'au point de départ du canyon. Il faut donc nous mettre déjà en maillot, en ne gardant qu'un short et un tee-shirt, ainsi que les chaussures que nous conserverons pour l'activité (pas de sandales, uniquement des chaussures fermées genre tennis).
Dans les bidons étanches, nous répartissons la nourriture, et nous les insérons dans de grands sacs à dos en plastique bleu qui contiennent les combinaisons que nous venons d'essayer, ainsi que nos casques de protection et des bouteilles d'eau. Cela fait une lourde charge que nous transportons, deux heures durant, le long du rio Mascun puis dans une vallée transversale qui nous mène au début du Barrasil. Il y a un peu de fronde dans l'air. Finalement, ce n'est pas plus mal que je ne l'aie pas su avant, je me serais inquiétée prématurément de l'humeur des ados.
Nous finissons par arriver au col : plus qu'une demi-heure de descente, et nous pourrons pique-niquer dans le pré à l'ombre de la falaise qui borne l'entrée du canyon Barrasil. Le moral des troupes remonte. Sitôt mangé, chacun saute dans sa combi (c'est une façon de parler, parce qu'elles sont drôlement difficiles à enfiler, il faudrait les mouiller, me dit l'apprentie-guide, mais elle ne le fait pas elle-même). Jeunes et adultes découvrent avec délice que, non seulement elle protège bien du froid de l'eau, mais qu'en plus elle permet de flotter presqu'autant qu'un gilet de sauvetage !
Tandis que les guides terminent tranquillement leur repas (salade de riz en tupperware) - et leur cigarette -, le groupe profite des eaux calmes pour se familiariser à ce nouvel équipement. De petits rapides suivis d'une grande surface d'eau calme permettent une initiation sans danger. Enfin, les guides prennent les choses en main, nous réunissent sur le banc de sable au milieu du courant et nous font leurs recommandations (que je traduis le mieux possible) :
progresser en file indienne, NE JAMAIS DEPASSER LE GUIDE, dans les eaux calmes, se mettre sur le dos et battre des pieds en ramant avec les bras, dans les eaux agitées, mettre les pieds en avant dans le courant, pour se protéger des chocs éventuels. Voilà pour l'essentiel. Le reste s'apprendra au fur et à mesure. Ils veulent d'abord nous séparer par moitié, et puis ils s'aperçoivent qu'il y a 2 jeunes qui se retrouvent isolés parmi les adultes (Jonath et Anna). Finalement, ils leur permettrent de rejoindre les autres ados - ils ne se font pas prier 2 fois -.
Chacun s'ajuste comme il peut, seul ou avec une aide attentionnée. Puis nous nous séparons, comme pré les enfants partent les premiers en file indienne, à pied puis à la nage, et nous les suivons un moment après. J'ai serré à fond le cou et j'ai la tête à peu près au sec.
Christine L. a des difficultés à maintenir la position, elle préfère la brasse, qui offre pourtant l'inconvénient majeur de tordre le cou et cambrer le dos, mais surtout de ne pas pouvoir profiter pleinement du paysage. Le problème, c'est qu'elle a l'impression de ne pas avancer et de faire du sur-place, ses battements de pieds rendus peu efficaces en raison du poids de ses chaussures gorgées d'eau. Elle est un peu inquiète, parce que Jeannot lui a fait la lecture tous les soirs depuis un mois en lui décrivant tout ce qu'il y avait à faire dans la sierra de Guara (où nous sommes) et notamment les détails impressionnants du canyoning (très technique) dans le rio Mascun. Enfin, cela ne l'a pas découragée puisqu'elle est avec nous. Il est vrai que je lui ai garanti qu'elle ne serait aucunement obligée à faire quelque chose si elle ne le voulait pas (les sauts par exemple) et qu'il y aurait toujours double option dans les passages difficiles, avec possibilité de les contourner. Il faut avant tout que ce soit un plaisir.
La rivière ne reste pas calme bien longtemps : le goulet se rétrécit, des roches en encombrent le lit et contraignent l'eau à se frayer avec force bouillonnement un chemin. Loin d'éviter ces accélérations du courant, au contraire, nous nous y enfonçons, sautons ou nous glissons d'un palier à l'autre, passons dans des mini-grottes et sous des cascades, escaladons les rochers pour nous replonger dans le courant, tout cela, en suivant scrupuleusement les instructions pour ne pas risquer un accident malencontreux. Anna se fait rattraper in-extremis par le guide, fétu de paille entraînée dans les eaux tumultueuses. Jonathan se cogne le tibia violemment, et l'hématome gonfle brusquement. Cinq minutes plus tard, lorsque je le fais examiner par le guide, on ne voit déjà presque plus rien : la grande fraîcheur de l'eau a fait office de glaçon, d'ailleurs, s'il n'y touche pas, il n'a déjà plus mal.
Evidemment, pour tous, le clou de la journée est marqué par la séance des sauts, d'abord depuis une hauteur de 3-4 mètres, puis de 10-11 mètres pour les plus courageux. En principe, il faut atterrir en position groupée ("en bombe"), mais c'est parfois plus facile à dire qu'à faire, et chacun adapte en fonction de ses capacités (et de sa peur). Un peu plus bas, une piscine naturelle permet aussi aux plongeurs de faire la démonstration de leur style, les pauvres poissons n'ont qu'à s'écarter, s'ils ne veulent pas être écrasés sous le choc. J'espère qu'ils n'ont pas les tympans fragiles (ou ce qui leur en fait office - la ligne médiane le long du corps, je crois-).
Nous commençons à frissonner et, curieusement, l'air nous semble plus frais. A l'ombre, nous sommes transis lors des passages uniquement aquatique enserrés dans les falaises.
Personne ne se plaint, mais lorsque nous empruntons brusquement un bras d'eau perpendiculaire où l'eau stagne de plus en plus, au fur et à mesure que nous nous éloignons du courant principal, et que nous constatons qu'une agréable chaleur s'insinue dans notre combinaison, nous sommes tous aux anges. Jean-Louis barbote dans une cuvette d'eau chaude, nous avons l'impression d'être dans notre bain, ou mieux, dans ces sources d'eau chaude des zones volcaniques.
C'est la fin du parcours. Les guides, alertés par le grondement irrégulier du tonnerre, craignent un orage électrique et nous pressent de retirer les combinaisons afin de remonter sur le plateau à Rodellar. Nous les quittons à regret, et remontons entre les buissons d'églantines qui nous égratignent au passage jusqu'au sentier bordé de pierres sèches, vestige d'une exploitation plus agricole de ces pentes raides. Nous remontons à l'ouest de l'église de Rodellar éclairée par les rayons obliques du soleil. La garrigue a changé de teinte et des odeurs de lavande et de thym fusent de la terre surchauffée.
Il faut regarder attentivement pour en déceler l'origine parce que les plantes sont ramassées sur elles-mêmes et malingres, et leurs fleurs pratiquement incolores, mais leurs senteurs... divines ! Nous réglons les derniers détails financiers au local et nous entassons dans les 2 voitures (10 personnes dans la mienne !) afin de rejoindre le reste du groupe au camping.
Là, j'ai une mauvaise surprise. La veille au soir, nous avions réservé sans problème à 7 heures et demie pour dîner à 9 heures (beaucoup plus tard en réalité, mais peu importe). Aujourd'hui, il y a affluence et je m'aperçois que nous aurions dû réserver dès la veille : c'est complet. Pendant que les autres se douchent et se détendent, je bataille avec la fille, puis la mère, et enfin les deux ensemble (le camping est une affaire de famille, le fils est au bar et à la caisse du petit magasin). Je finis par obtenir pour notre groupe (nous sommes tout de même 15 !) un repas avant le rush.
Elles me disent d'accord, mais tout de suite (7 heures et demie), et ce sont elles qui décident de notre menu (un immense plat de pâtes à la tomate accompagné d'une quantité de côtelettes d'agneau grillées à point : un délice). Moi, bien contente, je rapporte la bonne nouvelle. Je ne nous voyais pas, après cette longue journée sportive, faire un repas collectif dans les petites cuisines des bungalows, la vaisselle, le rangement et tout ce qui s'en suit... Ouf ! Nous l'avons échappé belle !
Jean-Louis B. et Elisabeth sont repartis avant le dîner. Il fait chaud dans les chambres la nuit et j'ai du mal à m'endormir, bien que je me sois mise au lit de bonne heure. Ce lundi, aucun des enfants n'a envie de bouger. Nous prenons le temps de manger un bon petit déjeuner, avec du pain cuit dans les fours de la cuisine du camping (sans doute à partir de pâte surgelée, mais il est excellent). Ensuite, ce sont les corvées de rangement des bungalows et d'établissement des comptes (toujours très compliqués parce qu'il y a toujours des exceptions, des acomptes versés à déduire, des repas non pris ensemble, etc. etc.). Nous nous prenons la tête à trois, Serge, Christine L. et moi, et cela dure une bonne heure de calculs alambiqués qui, de toute façon, ne peuvent jamais contenter tout le monde. Bref !
Sylvie, Jean-Luc, Diana et bébé Luc s'en vont chercher la fraîcheur au col du Somport. Nous laissons les enfants tranquilles au camping, où ils alternent les bains dans le rio Barrasil et les parties de cartes Magic, sans oublier de manger le pique-nique que chaque famille leur a concocté. Evidemment, maintenant que le canyoning est terminé, ils rentreraient bien tous immédiatement, mais nous (les adultes) avons envie encore de profiter d'une dernière balade dans le Mascun. Fereydoun veut revoir les cheminées de fée, et part en tête avec Christine et Jeannot L. Nous suivons avec Christine et Serge G.
Marcher tranquillement et s'arrêter où l'on veut pour examiner à loisir le paysage, c'est aussi un plaisir. Je guette un moment les poissons dans le lit peu profond de la rivière. Seul leur mouvement permet de les déceler : mimétisme voulu ou sélection naturelle ont adapté la couleur de leurs écailles à celle du lit de galets. En fait, il faut chercher l'ombre qui bouge et dénonce leur présence furtive. Au moindre mouvement, ils disparaissent dans un creux invisible. Pourtant, la truite de Jeannot demeure imperturbable malgré la présence en aval de deux jeunes filles qui pataugent gaiement.
Dans le ciel, les vautours planent dans les ascendances. Le guide m'a expliqué comment distinguer un aigle (présent également dans les falaises) d'un vautour. Il est plus ramassé, les ailes plus arrondies et de moindre envergure, qui ne se terminent pas par des plumes en forme de doigts écartés, le corps plus court, et surtout un vol à moindre altitude, moins plané, avec des battements d'ailes qui le mènent plus directement à sa proie mobile. A vrai dire, nous ne voyons que des vautours, si sa description est exacte, et ils sont en très grand nombre, c'est impressionnant. Comme sur l'autre flan des Pyrénées, après une longue période de destruction massive, il s'agit désormais d'une espèce protégée, dont on soutient l'alimentation en apportant des carcasses sur des aires de nourrissage, et dont on protège la reproduction en interdisant certaines falaises à la pratique de l'escalade, particulièrement en cette période-ci.
Nous faisons halte de nouveau à la fontaine, résurgence naturelle du Mascun après un périple dans la roche, comme l'explique un schéma sur un panneau. Les insectes grouillent en surface, qui amusaient tant les enfants la veille (ils s'amusaient à les immerger avec leur casque enfoncé à grand bruit dans l'eau claire, et s'étonnaient de les voir toujours aussi nombreux, apparemment indestructibles et imperturbables). Alimentées par les minéraux perdus par la roche et dissous dans l'eau, les herbes poussent nombreuses à cet endroit.
Curieusement, nous faisons halte pour pique-niquer à l'endroit même où nous avions mangé l'an dernier. Comme l'a observé Jeannot dès le premier jour, le niveau de l'eau est sensiblement inférieur à celui de l'an passé. La mare au bord de laquelle nous étions a disparu, laissant à sec un creux empli de gros galets. Tout en déjeunant, nous nous laissons charmer par le manège des hirondelles, très particulier, puisqu'elles font des va et vient contre le flan vertical de la falaise qui nous domine, s'arrêtant presque par moment pour perdre ensuite de l'altitude en basculant de part et d'autre comme une feuille morte avant de reprendre leur vol rapide habituel.
Il est l'heure de retourner sur nos pas. Ne seraient les enfants qui nous attendent et la perspective d'un retour à une heure trop tardive, nous nous attarderions volontiers dans le calme de ce canyon. Les petits oiseaux nous accompagnent de leurs chants. Malgré l'assèchement de la rivière, les bosquets sont encore très verts et offrent à toute une faune la fraîcheur de leur ombre douce. Nous ne résistons pas à la tentation de nous baigner une dernière fois dans l'eau fraîche et reprenons d'un pas gaillard la montée raide jusqu'au village.