Fiscal (Aragon)
15 au 19 juillet 2003
Participants (26)
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Le récit de Cathy
Départ
Visages épanouis, regards émerveillés et pure jubilation, ce séjour en Aragon aura été un véritable enchantement. Les enfants, adolescents et jeunes adultes avaient été attirés par la perspective de faire du canyoning, du parapente ou une balade à cheval. Les adultes étaient plutôt venus dans l'espoir de trouver un temps estival, une ambiance de franche camaraderie et une détente ludique dans un site dépaysant par rapport à la côte basque. Tout le monde y a trouvé son compte, et plus encore.
Le trajet s'est déroulé (presque) sans anicroche car, forte de mon expérience de la Pentecôte, j'avais opté pour le passage en Espagne par le nouveau tunnel du Somport. Chacun avait reçu de ma part une feuille de route avec les principales indications et le programme de ces 5 jours en Aragon. Quant à l'heure de départ - 8 heures - (un peu optimiste, mais quasiment respectée à la demi-heure près), elle avait fait l'objet de plaisanteries amicales. C'est à Sabiñanigo que j'ai pris conscience, après quelques errements et demi-tours malencontreux (à 6 voitures à la queue-leu-leu, ils ne passaient pas inaperçus), que j'avais composé mon parcours avec une carte fausse, dont l'auteur avait inventé une route directe inexistante jusqu'au village de Fiscal, notre destination. Heureusement Max en avait une plus académique et, moyennant un détour par Biescas, Gavin, et le Puerto de Cotefablo, nous avons pu arriver le soir à bon port.
C'était l'heure du déjeuner au moment où nous arrivions à l'embranchement où la route se scindait en deux, à droite vers Broto (puis Fiscal, à une demi-heure de là) et à gauche vers Torla, le village situé à l'entrée du parc national d'Ordesa. Au lieu de rejoindre le gîte directement, nous avons fait halte à l'entrée d'Ordesa pour déjeuner au bord de la rivière près d'un petit barrage. Tandis que Yann et Isabelle proposaient spontanément de rester pour surveiller la progéniture qui s'était installée sur le pont pour jouer aux cartes après s'être baignée dans l'eau (fraîche) et avoir escaladé les rochers, nous avons effectué une petite marche digestive le long du torrent en direction des hautes falaises d'Ordesa.
Accompagnés par le bruit de l'eau dans les rochers qui rafraîchissait l'air à proximité, nous avons retrouvé avec délectation les odeurs de buis, les bouffées de chaleur concentrée dans l'épaisseur des taillis, le vol calme des vautours planant à des hauteurs vertigineuses et la beauté du calcaire aux teintes mordorées. Nous nous sommes attardés un moment sur un petit pont, nous amusant à tenter de déceler les poissons couleur sable qui nageaient paresseusement dans les eaux transparentes. Après une courte montée, nous avons fait demi-tour, craignant de trop faire attendre ceux qui étaient restés au barrage. Bien nous en a pris : en effet, la surveillance n'avait pas été de tout repos et nous étions un peu honteux d'avoir laissé une telle responsabilité à Yann et Isabelle. Les jeunes s'étaient très vite lassés des cartes et ils étaient partis en exploration plus ou moins acrobatique. Le goûter ne les avait pas calmé longtemps et ils commençaient à fatiguer de rester là à nous attendre. La prochaine fois, il faudrait les prendre avec nous d'autorité.
Nous quittons Torla et trouvons facilement l'Albergue Salta-Montes, dont j'ai trouvé l'adresse sur le site internet de l'Aragon Oriental. J'ai eu le responsable de nombreuses fois au téléphone, qui m'a toujours fait un accueil très sympathique (à la fin, rien qu'à entendre ma voix et sans que j'aie à me présenter, il s'exclamait "Ola ! Constant ! Ya le reconozco !" - Il n'avait pas compris que j'avais donné mon nom de famille et pensait que c'était mon prénom -). C'est un homme entre 30 et 40 ans, aux cheveux longs noués en double queue de cheval haute et basse, mince alors qu'il occupe également la fonction de cuisinier (il nous servira une nourriture familiale fort honnête, quantité à volonté, avec une efficacité remarquable dans le service avec l'aide de son "compañero", malgré la taille de notre groupe). La façade de l'auberge est élégante, dotée d'une triple rangée d'arcades superposées, aux balcons ornés d'une treille magnifique dont les enfants (avant que nous y mettions le holà) n'ont pas résisté à la tentation d'en arracher quelques grains le premier soir pour nous en bombarder, lorsque, après cette première longue journée, nous étions réunis sur la terrasse en bas où nous prenions un rafraîchissement avant de passer à table. L'heure normale du dîner, très espagnole (21h30), à la tombée de la nuit, fut ramenée à 21h pour que les enfants ne s'impatientent pas trop.
Je suis contente, j'ai eu de la chance dans mon choix. Cette auberge nous offre un rapport qualité-prix tout à fait convenable. L'intérieur est propre et bien conçu (chambres de 4 ou de 6 personnes à lits superposés), les murs sont garnis de fresques, au pochoir ou créées directement sur place. Notre chambre est ornée d'un grand arbre, dans la salle de bain, une frise à mi-hauteur évoque des animaux marins plus ou moins stylisés, l'escalier qui mène aux étages est bordé de petits dessins humoristiques. Dans la salle à manger, aux parois couvertes de pierres de taille sont accrochées des peintures modernes et des photos ayant pour thème les divers sports qui peuvent se pratiquer dans la région, entourées ou à demi-recouvertes de plantes séchées disposées comme dans un herbier : c'est joli, très original et intéressant à regarder.
Evidemment, la principale inquiétude des enfants depuis plusieurs jours est de savoir avec qui ils vont dormir. Des questions me parviennent, de façon directe ou indirecte, comme si c'était à moi de décider de l'emplacement de chacun, c'est amusant. Evidemment, je laisse entière liberté de s'installer où l'on veut, en suggérant qu'on peut laisser les enfants se mettre tous ensemble. Dès que j'ai traduit les instructions de notre logeur, les enfants se précipitent, particulièrement l'équipe des 13-15 ans. Ensuite, la tranche des 15-20 ans s'installe, et ensuite les parents, avec les plus jeunes. Les célibataires et couple sans enfant se placent en dernier, en bouche-trou. Ils attendent d'ailleurs bien sagement que la fébrilité diminue, assis à la petite terrasse au-dessous des balcons.
Canyoning
Par l'intermédiaire de notre hôte de l'Albergue Salta-Montes, j'ai réservé deux activités pour le mercredi, canyoning et cheval, et j'ai précisé qu'il nous fallait un parcours ludique d'initiation dans le premier cas et une promenade tranquille de trois heures maximum sur des chevaux paisibles dans le second. Je crois que les Espagnols n'ont pas la même perception des choses que les Français. En effet, dans l'un comme l'autre cas, nous avons dû faire appel à toutes nos ressources pour vaincre des difficultés que nous ne nous imaginions pas capables de surmonter. Résultat, chacun en est ressorti à la fois totalement surexcité, évacuant le stress accumulé, et également littéralement épuisé, mais enchanté. Lorsque nous nous sommes réunis le soir, nous étions tous volubiles, pressés de raconter nos exploits et contents de voir que l'autre groupe s'était également "éclaté".
Les deux équipes avaient rendez-vous à 10 heures, les cavaliers à Sarvise (prononcer "Sarrbissé") et les "canyoneurs" à Broto. Nous sommes donc partis ensemble, et à la première halte j'ai pris contact avec le responsable du centre équestre pour vérifier que tout se passait comme prévu et lui confier les dix personnes qui restaient avec lui. Nous avons poursuivi jusqu'au village suivant où nous avons attendu un bon moment au local que les guides du canyon arrivent. Après la cérémonie habituelle de distribution du matériel (combinaisons très épaisses, chaussons, casques, et, pour la première fois, baudriers), nous sommes remontés dans les voitures. De retour à Sarvise, nous avons obliqué sur notre gauche en direction du village de Fanlo, qui est également une toute petite station de ski de fond, avec un troquet, trois maisons et une cabane d'accueil.
Là, il a fallu enfiler à sec les combis : nous avions tous l'impression d'être très gros et boudinés, il nous fallait accomplir un effort immense pour passer le talon, puis le mollet, le genou, la cuisse, les fesses, et réussir enfin à remonter la fermeture éclair sur un ventre incomprimable, après avoir inséré les bras et tiré l'étroit fourreau jusqu'aux épaules, ouf ! En plus, nous devions impérativement enfiler les chaussons à l'intérieur de nos chaussures : galère ! L'entraide était de rigueur, sous l'oeil blasé des deux guides qui se contentaient d'ajuster le baudrier à la fin du processus. Les casques ajustés plus ou moins fermement sur la tête, nous nous sommes observés mutuellement : les enfants, minces, avaient belle allure, je n'ose parler des adultes aux formes plus arrondies, accentuées par le costume moulant qui les comprimaient. Xavier a dit qu'il avait chaud (même dans l'eau frigorifiante directement issue des glaciers des Hautes Pyrénées) et n'a jamais éprouvé le besoin de remonter sa fermeture éclair sur son abdomen... Ce qui était dommage, c'est que cette fois les guides nous ont fermement déconseillé de prendre nos appareils photos. Ils avaient le leur et comptaient nous faire payer un supplément pour les photos souvenir. Malheureusement, l'appareil est tombé en panne de batterie rapidement, et nous n'en avons pas vu la couleur.
Les préliminaires sont toujours longs en canyoning mais ils sont vite oubliés dès que nous entrons dans le vif du sujet. Une dizaine de minutes pour descendre depuis la route le long de laquelle nous avons garé les voitures jusqu'à l'oued quasiment à sec (ce qui me cause une frayeur : ils m'auraient avertie, quand même, j'espère, s'il n'y avait pas eu d'eau), puis une centaine de mètres sur les galets branlants jusqu'à l'entrée du goulet. Nous grimpons les uns après les autres sur un rocher arrondi, au bord du vide, de plus en plus glissant au fur et à mesure que les chaussures mouillées l'humectent. Les deux guides s'activent, en équilibre sur un petit méplat en contrebas. Nous venons d'apprendre que l'expédition débute par une descente en rappel de douze mètres ! Ils introduisent les cordes dans les anneaux, une courte, bleue, terminée par un noeud, et une longue qui servira de ligne de vie. C'est un peu comme une entrée verticale de grotte. Les rayons du soleil ne pénètrent pas à l'intérieur et nous n'en voyons pas le fond, caché par le rebord du rocher sur lequel nous nous tenons.
Qui veut passer le premier ? C'est Florian P., benjamin du groupe comme son homonyme, Florian B., qui se décide. Tu t'assieds sur le rocher, tu passes les jambes dans le vide. Tu te laisses glisser en te retournant. Là. Maintenant, tu prends la corde bleue et tu la tiens bien pendant que je passe la corde dans le mousqueton. Tu as bien compris ? Quand tu arrives en bas, tu détaches la corde. Bon, vas-y. Tu te renverses très en arrière, comme si tu t'asseyais dans le baudrier, tu gardes les jambes tendues, écartées, les pieds à plat contre le rocher pour une meilleure adhérence, en appuyant bien les talons d'abord. Tu les déplaces l'un après l'autre vers le bas. Ta main gauche, tu n'en auras pas besoin, alors agrippe ton baudrier. C'est la main droite qui fait tout. Attention, il ne faut pas la garder près de l'anneau en 8, sinon tu vas te coincer les doigts. Elle doit être positionnée derrière la fesse droite. Si tu ne fais rien, si tu lâches la corde, rien ne se passe, le système se bloque automatiquement, tu ne risques pas de tomber, tu restes suspendu. Donc, si tu veux descendre, c'est toi qui imprimes le rythme, en dégageant la corde petit à petit.
"J'ai peuuuuuuur !". Florian ne veut plus descendre. Il a fait deux-trois pas, il y a une corniche et un grand trou derrière vers lequel il se tourne. Nous ne disons rien mais tremblons tout comme lui. "Ne regarde pas le vide, mais seulement où tu mets les pieds ! Allez, ne te redresse pas, penche-toi bien en arrière, et relâche progressivement la corde !" J'ai oublié de préciser que les guides parlent un baragouin infâme de mots français déformés par un lourd accent, mêlés d'espagnol et de mots inventés, formés à partir de l'espagnol. Pour que tous comprennent bien les instructions, j'ai répété après eux dans un bon français, et maintenant, je continue à crier à Florian des conseils, de même que son père et d'autres membres du groupe, pour l'encourager à poursuivre sa progression. Enfin, il arrive en bas et n'oublie pas de libérer la corde. Chacun passe l'un après l'autre. Au niveau de la corniche, il faut s'arrêter, regarder le deuxième guide, sourire et se faire prendre en photo, et continuer jusqu'en bas, avec des encouragements qui viennent maintenant des premiers arrivés qui attendent, les pieds dans l'eau.
Max et John, évidemment, effectuent une descente en rappel impeccable, de même que Mikel. Par contre, Caroline et Florian B. dérapent et se retrouvent suspendus à la ligne de vie, à se balancer en se frottant un peu rudement à la paroi. Ceux qui passent par la voie de droite se sentent basculer automatiquement vers leur gauche, avec la corde qui ripe sur le rebord ; les pieds glissent sur la paroi devenue humide car le filet d'eau coule en cascade dans la cuvette en contrebas qu'il a creusée au cours de centaines d'années. Christine, quant à elle, coince carrément. De sa voix douce, elle proteste : "Ne vous inquiétez pas pour moi, je vais remonter, je vous attendrai près des voitures...". Rien n'y fait. Le moniteur ne veut pas en entendre parler. Il la prend avec lui et ils descendent ensemble, lui dessous, elle dessus, encordés étroitement.
Finalement, tout le monde passe et nous entreprenons la progression en file indienne derrière les moniteurs, tantôt marchant, tantôt nageant ou pataugeant, obligés parfois de sauter de hauteurs de 4 mètres, ou de glisser le long de toboggans aquatiques naturels. A un moment, le moniteur s'arrête et dit à un enfant de descendre par un tout petit trou formé entre une avancée de la roche, un gros rocher et un rocher plus petit qui en amenuise encore l'accès. Il lui fait introduire d'abord les pieds, puis le reste du corps. Mince ! Le casque est coincé. D'une tape il l'enfonce et l'enfant disparaît. Je n'entends pas de cri, apparemment, il ne lui a pas raboté le nez en forçant le passage. Les jeunes passent les uns après les autres, sans encombre. Puis il me désigne du doigt. D'un geste éloquent, je lui montre mes fesses en tentant de lui expliquer que je ne passerai jamais. Il insiste et je m'insinue dans l'orifice. Evidemment, je me retrouve bloquée à l'endroit stratégique et il me dit qu'il faut insister un peu en mimant quelqu'un qui rentre le ventre. Eh bien oui ! J'ai réussi ! Et sans m'écorcher en plus ! Mon image de moi-même remonte dans mon estime. Le guide jauge du regard les adultes les uns après les autres. Il fait signe à Max de passer alors que celui-ci s'apprête à contourner l'obstacle, de même qu'à Jean-Louis B. qui s'insère sans problème dans le chas de l'aiguille. Yann s'engage sans attendre le verdict et ne peut plus ni descendre ni remonter... Au bout de gros efforts, il se décoince... mais vers le haut. Ce sont les os, paraît-il, qui avaient trop d'envergure. Jeannot n'insiste pas et fait le tour de l'obstacle. Xavier en fait de même, à regret.
Ce canyon présente peut-être un peu plus de difficultés techniques que les deux précédents où je suis allée, mais c'est sans conteste le plus beau. Etroit, encaissé, plutôt sombre, les rayons ne pénètrent que de façon indirecte jusqu'à sa base. La roche blonde a été entièrement modelée sur toute sa hauteur par la violence des flots et le choc des galets au cours des millénaires. Il est très minéral, avec à peine une ouverture au sommet où se penchent les pins sylvestres accrochés par miracle dans la fine couche d'humus ; leurs racines insérées dans la moindre fente de la roche et enroulées autour de chaque aspérité créent une niche humide pour des bouquets de fougères. Les odeurs de buis, de thym et de lavande descendent par bouffées, nous apportant le souffle chaud de la surface, à plus de vingt mètres au-dessus de nos têtes. Curieusement, l'eau a une couleur laiteuse, sans doute davantage eau de chaux que eau douce, et nous ne voyons pas où nous mettons les pieds. Par moment, un cri fuse : un trou, attention ! Malgré la difficulté de la progression, nous levons la tête le plus souvent possible, et regardons devant, au-dessus, derrière. Chaque détour du canyon apporte un nouveau spectacle, c'est magnifique. Vers la fin, j'entends une exclamation : "Oh, regardez, on dirait la forêt vierge !". Après un virage, le canyon s'est brusquement évasé, laissant entrer à flot la lumière qui a fait verdir et fleurir les parois. Des plantes partout, de toutes nuances, avec des bouquets mauves, bleus, jaunes ou blancs, un fouillis luxuriant, et une température brusquement haussée de quelques degrés.
C'est malheureusement la fin. Les enfants rechignent à remonter, particulièrement Florian B., épuisé, que je houspille et encourage alternativement, lui offrant une fraise des bois pour le réconforter et cherchant tous les arguments possibles et imaginables pour le faire avancer. Pourtant, le sentier est bien aménagé en lacets pour ménager une ascension progressive, mais les combinaisons sèchent sur les corps, enserrant les muscles d'une étreinte croissante. La résine embaume, les hirondelles poussent leurs trilles, par contre, les cigales sont muettes, peut-être sommes nous trop hauts en altitude. Aussitôt rendus tous les accessoires, nous nous jetons sur le pique-nique et le mangeons sur place, tellement fourbus que nous n'avons pas la force de chercher ne serait-ce qu'un coin d'ombre à l'abri de grands arbres. Pendant que nous montons prendre un café à la terrasse du bar, les enfants s'avachissent dans les voitures et ne veulent plus bouger. Ils ne réclament qu'une chose : retourner au gîte. Jonathan me confiera plus tard que c'est ce canyon qu'il a préféré entre tous "parce qu'il a eu peur". Pour bien terminer la journée, nous choisissons d'aller faire une sieste au bord de la rivière à Broto. Les plus toniques (dont Christine) se baignent à nouveau, sans combinaison cette fois, tandis que les autres se reposent à l'ombre des saules et des petits pins. Curieusement, les gros galets dans l'eau courante sont entièrement recouverts d'une myriade de petits coquillages en forme de cônes dont émanent de fines pattes mouvantes, genre bernard-l'ermite.
Cheval
Nous revenons tard à l'Albergue Salta-Montes. Je croise d'abord Isabelle et Michèle dans les escaliers. Elles sont ravies de leur journée. Je suis étonnée, les jeunes guides leur ont fait faire une randonnée très longue de quatre heures, sans aucune pause, et sur un parcours très accidenté. Le lendemain, Jean-Louis m'a montré leur point de départ qui était aussi impressionnant pour des néophytes que notre descente en rappel. En effet, chacun menait son cheval de manière indépendante, y compris la petite Cécile (7 ans), et, après avoir longé la route pour traverser le village, le groupe s'est engagé dans une montée très raide qui les a conduit dans la montagne environnante.
Ils ont franchi des ruisseaux, descendu des chemins tellement pentus que les chevaux glissaient sur les roches plates, marché sur une corniche à l'aplomb d'un précipice, avec des virages à angle droit très difficiles à prendre pour un cheval. A ce propos, ils ont observé le travail très important des chiens qui accompagnaient le convoi. Dressés comme des chiens de berger, ils se couchaient le long des ravins pour obliger les chevaux à se plaquer contre la montagne ; dans les passages difficiles, ils fixaient du regard chaque cheval l'un après l'autre pour le faire aller dans la bonne direction. Les cavaliers se penchaient pour éviter d'être fouettés par les branches de buis, qui ont pourtant laissé de longues estafilades rouges sur les bras et le visage. Isabelle avait son couvre-chef ensanglanté. Autant que je sache, il n'y a pas eu de séquence de trot ni de galop, mais simplement une très longue randonnée au pas, paisible et décontractée, mis à part dans les passages délicats qui ont un peu corsé et pimenté le parcours. Le trajet se faisait tantôt à couvert, à l'ombre des pinèdes et des hêtraies, tantôt en végétation rase qui laissait le regard porter au loin. Captivé par le paysage magnifique et concentré dans la conduite de sa monture, Jean-Louis ne s'est rendu compte qu'à son retour de la défection d'Elisabeth (pourtant, il était sensé photographier tout le monde, mais il n'y a pensé qu'au départ et à l'arrivée, au grand dam de Nicolas).
En fait, Elisabeth n'était même pas partie. Elle avait remarqué que le responsable évaluait attentivement du regard les membres du groupe à tour de rôle et semblait choisir, en fonction d'elle ne savait quels critères, une monture appropriée pour chacun d'eux. Elle avait entendu certains refuser d'aller sur l'un des chevaux, qui ne semblait pas avoir très bon caractère. Bonne dernière, c'est à elle que le cheval dédaigné avait échu. Il faut dire qu'elle était très hésitante depuis des jours, mais de voir tout le monde partir l'avait décidée à tenter l'aventure. Elle a enfourché son cheval, mais comme il fallait attendre un petit moment que tout le monde soit en selle, le cheval s'est mis à faire des écarts et elle s'est affolée. Sans rien dire aux autres, elle est redescendue, et s'est retrouvée seule, sans eau, sans clés, sans argent, à attendre leur retour quatre heures durant. Comme elle ne parle pas espagnol, elle n'a pas osé s'installer à la terrasse du café et s'est contentée de faire quelques promenades dans les environs, entrecoupées de pauses à l'ombre des grands arbres en bordure de rivière. Je suis désolée pour elle, surtout après avoir vu le visage épanoui de ses compagnons, ravis de leur expédition. Michèle n'a pratiquement pas eu mal au dos le lendemain et aucun ne s'est plaint de courbatures. Les écorchures diverses étaient plutôt considérées comme de glorieuses blessures de guerre. Je crois que de nouvelles vocations sont nées de cette expérience : Fereydoun, Cécile et Isabelle se promettent de refaire du cheval dès que possible, peut-être à Anglet même, au club hippique de Chiberta, qui organise des promenades dans la forêt de pins.
Parapente
En ce qui me concerne, le parapente est le clou du séjour. Lorsque j'en ai fait à Accous l'été dernier, il était évident dans mon esprit que j'en referais. J'avais même envie de faire un stage d'une semaine pour être autonome. En attendant, une descente avec un moniteur, ce n'est déjà pas si mal, surtout que cette fois-ci, ce sera le double de temps, une demi-heure de vol plané avec le panorama somptueux de la vallée de Benasque, qui est au pied des plus hauts sommets des Pyrénées, le pic d'Aneto, la Maladeta et le Posets, avec, à l'horizon, le Mont Perdu du Parc National d'Ordesa.
L'organisation n'était pas évidente parce que les Espagnols sont moins structurés sur ce plan que les Français. Je pensais même être obligée de faire le trajet jusqu'à Saint Lary, en passant par le tunnel de Bielsa, ce qui nous aurait fait un minimum de 2 heures de route, sans compter l'acheminement sur les hauteurs. Enfin, j'ai découvert par internet ce lieu, à Castejon de Sos, où se sont passés les championnats du monde l'an passé, je crois, et qui est la Mecque du parapente dans les Pyrénées espagnoles. Il faut quand même compter, depuis le village de Fiscal où nous séjournons, une bonne heure et demie de route, avec un long passage délicat dans la montagne en raison des travaux titanesques de réfection de la chaussée et surtout de constitution d'un nouveau tracé plus rectiligne de la N-260 (la "transpirinaica", transpyrénéenne). Des pans entiers de collines sont découpés et les roches déplacées pour combler les crevasses : d'énormes excavatrices, des camions, des ouvriers (et ouvrières) au milieu d'un nuage de poussière, une route défoncée transformée en simple piste caillouteuse et glissante, bref, une conduite au ralenti qui a retardé notre arrivée de quelques 10 petites minutes (celles justement qui nous manquaient au départ, puisque je souhaitais une heure de départ à 7h30, et que nous sommes partis à moins vingt).
Personne n'a rouspété de devoir se réveiller si tôt. C'est Yann qui a été chargé de chanter une chanson gasconne dans chaque chambrée. Certains, parmi les jeunes, ont été surpris de cette méthode inhabituelle et Isabelle était scandalisée que son mari ait réveillé indifféremment ceux qui participaient à l'expédition et ceux qui restaient (Jean-Louis B., Elisabeth, Cécile et Christine qui se sont promenés durant la journée à Ordesa). Max et Caroline ne voulaient pas non plus voler, mais ils accompagnaient le groupe. A notre arrivée à Castejon de Sos, où il y a deux écoles de parapente, le responsable nous attendait sur le trottoir, inquiet visiblement de ne pas nous voir arriver. La veille au soir, la secrétaire avait appelé pour nous demander d'y être à moins cinq. On ne fait pas ce qu'on veut sur une si longue distance.
Le directeur de l'école de parapente trouve que nous sommes un peu lents à nous organiser et, après avoir vu la taille de nos voitures, il nous houspille et nous impose quasiment que ses guides montent dans leur propre fourgonnette avec les ballots de parapentes, moyennant un surplus de 7,5 € par personne (il était prévu au départ que ce soit nous qui les transportions, avec tout le matériel). Jean-Louis et Yann les suivent, chacun dans une voiture, en emportant les sept plus jeunes enfants (et les plus légers), qui doivent bénéficier des conditions atmosphériques calmes de début de matinée. Ce qui n'a pas été précisé, du moins lorsque j'avais négocié les tarifs il y a plus d'un mois, c'est que la piste est vraiment très mauvaise. Seule la secrétaire m'a avertie la veille au soir, mais c'était bien trop tard, nous nous étions entendus sur les conditions et les prix bien avant.
Jean-Louis et Yann montent très lentement jusqu'à une altitude de 2400 mètres pendant plus d'une heure pour ménager pneus et suspensions. J'ai demandé que des photos soient prises des envols, Jean-Louis attend donc pour redescendre que le dernier jeune ait "décollé". Un petit problème est survenu : une courroie a été oubliée (ou est défectueuse) et Lucie est obligée d'attendre toute seule en haut de la montagne que le groupe suivant arrive avec le bon matériel.
Pendant ce temps, le reste du groupe s'est rendu au terrain d'atterrissage, grand pré entouré d'arbres en bordure d'une rivière peu profonde. Après que nous ayons testé toutes les positions d'attente : debout, assis, couchés, Max a sorti les boules de pétanque et nous avons commencé une partie, interrompue de temps à autre par les voitures d'autres parapentistes qui repartaient vers les hauteurs ou dans leurs pénates. Isabelle a beaucoup aimé ce jeu qu'elle n'avait jamais pratiqué. Vers 11h 1/4, la voiture des guides arrive, et le conducteur, hyper stressé, nous somme d'utiliser les véhicules de l'école également pour nous transporter, moyennant une seconde rallonge de 7,5 € par personne. Il prétend que Yann et Jean-Louis sont montés bien trop lentement, qu'il y a trop de perte de temps, et que l'école doit prendre les choses en main, sous peine de supprimer le vol de 13 heures, car ils ont encore d'autres clients l'après-midi. C'est un fait que Yann arrive un bon moment après ce véhicule, et Jean-Louis encore bien plus tard. Je suis obligée d'accepter. Ils prennent cette fois 8 personnes à bord, et reviennent un quart d'heure après en chercher une neuvième.
Nous interrogeons les jeunes pour connaître leurs impressions sur leur baptême de l'air. Je suis un peu déçue. La première fois, il y avait une ambiance extraordinaire et les enfants étaient survoltés, particulièrement Anna et Manon (qui n'est pas venue cette fois) et également Jonathan. Aujourd'hui, ils paraissent presque blasés, même ceux qui le font pour la première fois. La différence, c'est que les moniteurs ne parlent pas le français, ils n'ont donc pas pu échanger ni communiquer avec eux. Du coup, la descente s'est faite de façon moins ludique : ils aiment les "360" (descente en vrille) et l'action, on leur avait fait prendre les manettes de direction. La contemplation platonique du paysage ne leur suffit pas. Aussitôt débarrassés de leur équipement, ils entreprennent une grande chasse aux insectes sous la direction experte des jumeaux Julien et Jérémy. Nous mangeons le pique-nique en guettant le haut de la montagne pour ne pas rater les décollages de la seconde équipe. Ceux qui n'ont pas volé prennent garde à manger léger, de peur d'être incommodés lorsque ce sera leur tour de partir.
Le vent s'est levé. Il souffle par bourrasques de plus en plus fortes. J'ai fait la réflexion à deux moniteurs que je trouvais que les enfants étaient descendus bien vite (20 minutes). Du coup, ils font en sorte de respecter la demi-heure de vol avec le groupe suivant car il nous semble descendre bien plus lentement. En fait, un autre groupe de parapentistes s'est envolé avant eux ; il a pris de la hauteur, aidé par les ascendances, et plane longuement au-dessus de l'aire de décollage avant de se diriger vers notre terrain. Les nôtres planent plus directement dans notre direction. Ce n'est pas évident de les reconnaître de si loin. Un ULM évolue près du champ et atterrit de l'autre côté. Personne n'envie ses deux passagers : il est bruyant et son hélice en rotation très rapide doit faire vibrer tout le cadre de sustentation. Le deuxième groupe atterrit avec un peu plus de peine que le premier. Le vent bouscule les toiles qui se gonflent sans crier gare. Les parapentistes trébuchent, encore harnachés. Le moniteur de Mikel lui écrase une main, celui d'Isabelle lui tombe dessus, la pauvre ! Quant à Marie-Ch', elle reste allongée par terre, incapable de se lever, toute blanche : les dernières minutes trop agitées lui ont donné mal au coeur et sa tête lui tourne. John paraît avoir mieux passé l'épreuve que l'été dernier, son estomac a l'air d'aplomb. Yann est enthousiaste, comme d'habitude, mais pour moi, le plus grand souvenir sera le visage de Michèle, complètement illuminé par une joie intérieure, les yeux brillants : elle a adoré planer au milieu de ce paysage grandiose, dans le calme le plus complet, avec son moniteur - qui parlait un peu français - qui s'inquiétait de son moral et de son confort et lui frottait épaules et bras pour la réchauffer...
Ordesa
Je ne me suis pas beaucoup étendue sur notre gîte. Dès le premier soir, les enfants ont entrepris une grande partie de cache-trappe dans le village aux ruelles étroites et passages couverts pendant que nous effectuions par petits groupes ou individuellement une visite plus posée des environs immédiats. Comme partout en Espagne, des travaux étaient en cours, la route creusée recouverte de larges planches, un va et vient de camions et d'engins nous empêchait de stationner sur la place de l'église où se trouvait l'entrée du gîte. Nous nous y sommes rendus uniquement pour décharger les bagages et avons dû garer les voitures un peu plus loin près du pont sur un ruisseau presque à sec aux abords assez sales. Le seul bâtiment véritablement neuf, en pierres de taille grise, un peu m'as-tu vu, est la mairie. L'église vétuste et mal entretenue montre que les priorités ont changé dans l'Espagne moderne, bien que les cloches sonnent ce mardi soir à 19 heures pour appeler les fidèles à la messe qui a lieu à tour de rôle dans les villages de la région : ici aussi, les vocations religieuses se font rares. Quelques vieilles maisons sont également en pleine rénovation tandis qu'un quartier neuf est construit de toutes pièces en dehors du village. En face, une superbe maison de pierre avec dépendances et jardin soigné étale avec suffisance les fantasmes de son propriétaire : sur le mur d'enceinte sont dressés en alternance des effigies de personnages de Walt Disney et d'anciens outils agricoles enchaînés et scellés. Des champs cultivés et des jardins emplis d'arbres fruitiers montrent la fertilité de la plaine à l'horizon barré de hautes montagnes éclairées par le soleil couchant.
Max et Jean-Louis B. font chaque soir un footing autour du gîte, quelle qu'ait été l'activité (toujours sportive) de la journée. Quels hommes ! Les autres préfèrent s'installer à la terrasse après une bonne douche et commander des rafraîchissements accompagnés de cacahuettes grillées à l'enveloppe entourée de gros sel. Nous sommes trop nombreux pour la quantité de chaises disponibles et chacun s'installe comme il peut, sur le petit muret ou bien carrément debout, et nous devisons et plaisantons tout en observant le manège des hirondelles qui tournent et virent en poussant des trilles aiguës.
Après l'activité effrénée des trois premiers jours, je n'ai pas donné de consigne d'heure pour le réveil du vendredi matin. Les enfants cependant craignent que le petit déjeuner ne soit plus servi après 8 heures 30 et apparaissent les uns après les autres. Seuls les grands adolescents traînent : ils n'ont pas envie de marcher et ne tiennent pas à y être obligés. Je fais usage de toute ma force de persuasion pour les inciter à nous accompagner dans le Parc National d'Ordesa. Je sais qu'ils aimeront, le problème, c'est de réussir à ce qu'ils me fassent confiance. Au bout d'un moment de longues descriptions de ce qui les attend, et d'assurances répétées qu'une fois sur place, ils feront ce qu'ils veulent, j'obtiens leur assentiment. Ouf, c'était dur !
Je sais bien que, normalement, pour bien profiter d'Ordesa, il vaudrait mieux partir de bonne heure. En effet, le Parc National est interdit à la circulation automobile. Nous devons obligatoirement nous garer dans un vaste parking payant au bas du village très pittoresque de Torla et prendre un autobus qui fait la navette toutes les demi-heures à peu près jusqu'au centre d'accueil, et qui propose une halte intermédiaire dans un musée, très mal situé à mon avis (il serait plus fréquenté s'il était au terminus). Ensuite, de nombreuses balades s'offrent aux visiteurs du parc, dont la difficulté est indiquée par une jeune femme qui fournit une carte d'orientation avec la durée approximative et le dénivelé.
Pour cette première journée de découverte, nous nous dirigeons vers le cirque de Cotatuero et sa belle cascade qui se jette du sommet de la falaise. Ensuite, nous nous proposons de faire le tour de la vallée en longeant les crêtes. Pour plus de facilité dans l'organisation (et pour obliger les jeunes à voir un peu plus loin que le bout de leur nez), j'impose (gentiment, aux jeunes qui avaient déjà commencé à s'allonger sur la prairie à l'entrée du parc, et parce que je suis sûre qu'ils apprécieront) une marche commune du groupe tout entier jusqu'à l'heure du pique-nique près de la cascade. Ensuite, quartier libre.
Ordesa, c'est toujours un enchantement. Parc National depuis le début du XXème siècle, il s'agit du plus haut massif calcaire des Pyrénées. Très irrigué par une multitude de torrents et de ruisseaux, le fond des vallées est boisé de grands arbres, conifères (pin sylvestre) et feuillus (hêtre) mélangés, tandis que la montagne s'élève en de très hautes falaises spectaculaires aux couleurs chaudes du blanc à l'ocre, avec des nuances de jaune ou de gris. Il abrite une flore et une faune très variée dans un cadre bien plus riant à mon goût que le cirque de Gavarnie situé sur le versant nord et français. Sa disposition permet aux visiteurs de se disperser et de profiter pleinement de la nature sans avoir l'impression d'être dans un zoo surpeuplé.
Le sentier serpente doucement à travers la forêt jusqu'à la fameuse cascade du cirque de Cotatuero. Là, je vois bien que ma cause est entendue. John part en exploration de rocher en rocher vers l'amont de la cascade, revenant au bout d'un long moment pour nous dire qu'il a trouvé un super endroit pour pique-niquer. Trop tard, nous sommes déjà installés près de la cabane. Les plus jeunes mettent déjà un pied dans l'eau dans les vasques près de la petite passerelle qui enjambe le torrent et mène à d'autres sentiers.
Chacun profite du lieu à sa manière. Ensuite, nous nous séparons. Les hommes partent les premiers à l'assaut de la cascade, vers les grandes hauteurs. John a disparu pour s'adonner à sa passion, l'escalade, Nico, Marie-Ch' et Mikel restent un moment avant de redescendre en s'amusant à escalader aussi un peu les rochers le long du torrent. Les jeunes dévalent le sentier, Caroline à leur suite, heureusement, qui récupère les 7-10 ans lâchement abandonnés par les 13-15 ans. Ces derniers trouvent un "spot" de toboggan aquatique naturel, se mettent en maillot et pratiquent la descente sportive comme ils ont appris en canyoning : ils "s'éclatent" et en reparleront le soir avec enthousiasme. Inutile de préciser que la baignade est parfaitement interdite dans un parc naturel, mais avec la chaleur qui fait, il aurait été difficile de le faire comprendre aux enfants.
Je m'inquiétais pour les plus jeunes, et c'est finalement Nico qui se fait mal, en cherchant à escalader les rochers de la cascade. Il perd prise, retombe contre un rocher puis dans une vasque d'eau, bain forcé tout habillé dont il rira après coup, mais rétrospectivement, il réalise qu'il aurait pu se faire bien plus mal. Dans l'aventure, il perd une chaussure. La dame du bus au retour refusera qu'il y monte pied nu et l'obligera à enfiler ses chaussettes trempées, faute de chaussures. Anna raconte aussi que Jonath' et Lucie lui ont "sauvé la vie" parce qu'elle a glissé sur le sentier et s'est retrouvé suspendue par les mains au bord d'un petit ravin de trois mètres de profondeur.
Le groupe le plus calme est sans conteste celui constitué en majorité de mères de famille. Plutôt que de faire un simple aller-retour, je propose d'accomplir une boucle qui nous fait passer sur une mince corniche au pied des hautes falaises, à une altitude de 500 mètres par rapport au fond de la vallée. Le panorama est somptueux, et je suis heureuse de voir l'enthousiasme de mes compagnons. J'ai dit que nous marcherions tout le temps à niveau, en fait, il y a un petit dénivelé supplémentaire de 200 mètres par rapport à notre lieu de pique-nique. Nous avançons très tranquillement, rien ne nous presse, et faisons de nombreuses haltes pour admirer le paysage. Nous sommes dans un jardin odorant, des coussinets d'ajoncs fleuris aux courbes douces mais au contact piquant tapissent le pied des falaises. Des ombellifères aux fleurettes blanchâtres couvertes de mouches aux reflets d'acier verts ou bleus qui les butinent envahissent l'air de lourds effluves miellés. Des pins en contrebas montent des senteurs de résine surchauffée. Un parterre d'iris au bleu intense se dresse au milieu des ajoncs.
Au détour du sentier, je m'arrête brusquement, et les autres derrière moi font de même. Sur une pente couleur rouille où s'écoule une eau à la source invisible s'abreuve un jeune isard solitaire. Il lèche une pierre grise, sans doute légèrement salée, et, bien qu'il nous ait vus et entendus, reste tranquillement à sa place. Il sait qu'il n'a rien à craindre de notre part. Les bons marcheurs nous ont rejoints entre temps, et tout le monde peut profiter de ce joli spectacle. Nous le mitraillons de photos, Fereydoun le filme, et nous nous résignons au bout d'un long moment à le déranger car il est tout près du chemin où nous devons passer. Il dévale en quelques bonds la pente, avec une facilité déconcertante, et s'arrête quelques mètres plus bas pour nous jeter de nouveau un coup d'oeil avant de disparaître dans la forêt. Isabelle, Elisabeth, Michèle et Christine marchent très bien. Fereydoun, qui a un ménisque en moins, souffre un peu dans la longue descente très bien aménagée en larges lacets aux tronçons parfois horizontaux pour reposer les tendons, qui nous ramène à la maison d'accueil. Au fur et à mesure que nous progressons vers le bas, la végétation se transforme et croît en hauteur ; notre balade se termine en marchant à l'ombre des grands arbres.