Séjour en vallée d'Aure

21 au 24 août 2003

Participants : Cathy, Jean-Louis et Jonathan, Richard et Anna, Xavier, Fereydoun, Jean-Marc, Béatrice, Sylvie, Jean-Luc, Julien, Diana et Luc.



Le récit de Cathy

 

 

 

La Vallée du Moudang

Nous ne sommes pas très nombreux pour cette petite escapade en vallée d'Aure, seulement 14 personnes, et encore, en comptant bébé Luc et Béatrice qui ne partagera avec nous que la matinée du dimanche. Cela nous fait drôle, surtout lorsque nous nous comptons pour le départ : seulement deux voitures, avec respectivement quatre et deux personnes jusqu'à la sortie de Bayonne où Fereydoun se joint au petit groupe. Petit champignon (vesse de loup ?)Jean-Luc, Sylvie et leurs trois enfants nous rejoignent directement au gîte à l'heure du déjeuner, de même que Jean-Marc qui arrive le soir seulement. La jeune et jolie hôtesse du "Barbajou", à Aragnouet-Fabian, après Saint Lary sur la route du tunnel de Bielsa et de Piau-Engaly, nous offre un accueil chaleureux et volubile. Les chambres sont propres, la cuisine bien agencée et la salle à manger spacieuse et claire. Il y trône un énorme soufflet de forge, et aux murs sont suspendus une ancienne fourche à foin en bois et les premiers skis de la dame (en bois, avec des attaches rudimentaires, et qu'il fallait farter avant usage si l'on avait quelque peu l'intention de glisser...). Son emplacement en bordure de route n'est pas trop gênant car la circulation est faible la nuit. Par contre, les volailles (poules, coqs, oies et pigeons) et les chiens de berger du voisin d'en face font un boucan du diable dès l'aube, mais avec toute l'activité que nous déployons, notre sommeil n'est pas trop perturbé.

Fereydoun et, à l'arrière plan, les granges du MoudangComme nous ne disposons que de l'après-midi pour marcher le premier jour, Richard nous propose d'aller voir les granges du Moudang. Les enfants ne sont pas très enthousiastes. Par contre, le parcours "Aventure" les tente beaucoup. Il est situé justement au départ de la balade, dans un cadre superbe au milieu des arbres et au-dessus du torrent. Ils s'imaginent tout-à-fait dans la peau de Tarzan (pour Jonathan et Julien) et Jane (pour Anna) et s'en donnent à coeur joie. Nous les observons un moment depuis le sentier qui domine un des passages où ils sont accrochés à tour de rôle à un filin tendu en travers de l'étroite gorge et précipités à une trentaine de mètres contre de gros matelats pneumatiques rouges qui amortissent le choc et évitent la rencontre brutale avec la falaise. Le soir, tous crottés, ils nous raconteront, enthousiastes, les pommettes rougies d'excitation et les yeux brillants, leurs exploits et leurs impressions aux passages les plus périlleux. Bien entendu, ils étaient tout le temps assurés par un mousqueton et ne risquaient rien d'autre que quelques échymoses.

Luc s'est endormiBaies noires de genévrierLa moitié de la randonnée s'effectue en sous-bois, à l'ombre de hêtres aux troncs élancés et aux branches largement étalées à l'horizontale. La gorge étroite suit le cours du torrent bondissant de roche en roche que nous entendons de plus en plus faiblement en contrebas, au fur et à mesure que nous progressons en altitude, vers le fond de la vallée. Le temps est incertain. Des passages nuageux nous font craindre la pluie, mais Jean-Luc et Sylvie se félicitent de la température clémente, à cause du bébé. Il est d'ailleurs très heureux sur son sac à dos porté par son père et s'endort, bercé par le balancement des longs pas réguliers. Sylvie profite de la pause pour exposer ses idées sur les origines de la vie et de la lignée humaine ; Jean-Louis et Richard, grands lecteurs devant l'Eternel, et fort renseignés sur les hypothèses les plus récentes, la poussent gentiment dans ses retranchements, piqués au vif par l'originalité de certaines de ses thèses.

Mouton bleuLorsque les montagnes s'écartent, la forêt s'interrompt pour laisser place aux pâturages. Le torrent erre sur un vaste lit de galets gris, aujourd'hui mince filet d'eau entouré de marécages où le pied se sent aspiré par la terre imbibée dont l'eau dégorge comme d'une éponge trop pleine. Ce paysage ressemble à celui qui s'était offert à nos regards lorsque nous avions pris le Chemin de la Mâture, en vallée d'Aspe, et que nous avions débouché sur les hautes pâtures qui communiquaient par le col d'Ayous avec la vallée d'Ossau.

Moutons endormis contre le mur d'une grangeJ'aime la qualité particulière du silence dans ces vastes espaces. Il semble que l'oreille en sonde le volume et que les quelques pépiements d'oiseaux dont l'écho résonne curieusement et le craquellement des graminées sèches dans le vent qui se heurte aux montagnes permettent d'en prendre la mesure. Chacun ressent au plus profond de lui-même l'extrême petitesse de l'humanité au sein de l'univers infini, mais également un intense sentiment d'appartenance à la Nature avec laquelle nous communions.

Moutons sous la berge Les moutons bêlent au loin, agglutinés pour la plupart autour des fameuses granges. Ils sont très laids, affublés d'une énorme tache de peinture bleue sur le dos, ou bien naturellement bicolores bruns et gris crème, comme des vaches. Eternels épuisés, ils dorment dans des positions invraisemblables, debout, ou bien assis, la tête vaguement appuyée entre les interstices des pierres disjointes, ou encore la tête enfoncée dans l'ombre de la berge ravinée du torrent. Pourtant leurs grappes de crottes noires sont répandues jusqu'aux plus hauts sommets et je me dis souvent, en mon for intérieur, que, s'ils sont parvenus jusque là, il n'y a pas de raison que je n'y arrive pas également.

Les granges du MoudangFereydoun, qui marche au même rythme que moi, loin derrière Jean-Louis, Richard et Xavier qui avancent comme d'habitude au pas de charge, se lamente amèrement. Il a laissé son sac à dos auprès de Sylvie, installée à l'abri du vent pour allaiter son petit, et il a oublié de prendre sa caméra. Il regrette de ne pouvoir imprimer sur la pellicule le panorama grandiose (quoique un peu terne, à cause des nuages poussés par un vent de plus en plus froid et violent) et le petit groupe de ces granges de pierre au toit d'ardoise assemblées en un village sans église. Il s'agit d'ailleurs de véritables maisonnettes qui ne servent pas qu'aux bergers mais également à des gens venus jusque là en voiture pour y résider quelque temps.

Muret de pierresJe m'attarde un peu à prendre quelques photos et, délaissée par mes compagnons qui se sont lancés à corps perdu dans la résolution d'une devinette posée par Richard et avancent sans se retourner, j'en profite pour m'arrêter à chaque fois qu'un détail insolite attire mon attention. Je repère plusieurs zones où les mottes d'herbe ont été arrachées et retournées, signe caractéristique de la présence de sangliers. Je cherche les racines en bulbes dont ils sont friands mais ne trouve qu'un petit champignon fraîchement arraché. J'adore ces enclos cernés de murs de pierres grossièrement assemblées, dont certaines, de taille impressionnante, semblent avoir été soulevées par des géants. Les genévriers, qui ont également souffert de la sécheresse, cachent au milieu de leur feuillage épineux leurs baies noires.

Baies noires de genévrierChampignonsDe retour dans la forêt, je vois Jean-Louis qui remonte la pente : il s'est brusquement rappelé mon existence et s'est inquiété de ne pas me voir derrière. Il ne résiste pas à l'envie de me poser la devinette de Richard qui les a tant captivés et dont il n'a pas encore réussi à découvrir la clé. Voilà ce dont il s'agit : "Un homme, aveugle, entre dans un restaurant, commande un plat de crabe, en avale une bouchée, se lève, sort du restaurant et se suicide. Et maintenant, reconstituez son histoire et trouvez une explication logique à son geste." On a le droit de poser autant de questions que l'on veut, et si on n'avance pas, on peut avoir quelques indices. Jean-Louis m'indique où ils en sont : L'homme en question effectuait une croisière en bateau avec son épouse et d'autres gens. Le bateau, dérouté par une tempête, s'est drossé contre les récifs d'une côte, provoquant la disparition de l'épouse...

Jean-Louis et le JengaDe retour au gîte, alors que nous sommes presque assoupis dans une sieste récupératrice, Jean-Marc arrive. Une partie de Jenga acharnée s'engage dans la salle commune, pour ne pas réveiller le bébé qui a longtemps lutté pour s'endormir. Jeu suédois astucieux, il faut retirer des planchettes de bois empilées par groupe de trois en quinconce et les reposer sur le sommet de la tour constituée initialement de 20 étages. Le record de Richard est de 32 étages, sera-t-il battu ? L'heure avance. J'ai réservé une table dans un petit restaurant familial, un kilomètre plus bas à Eget, qui est réputé pour sa garbure. Dans la hâte, j'oublie Fereydoun qui se repose dans sa chambre. Fort heureusement, il n'est pas rancunier et fait contre mauvaise fortune bon coeur, s'asseyant à la table de Sylvie et Jean-Luc qui l'invitent à leur popote dans le gîte. Lorsque nous nous en apercevons, encore assis à table dans l'attente du second plat, Richard et Xavier se rendent au Barbajou, mais il a déjà fini son repas. Une heure après, je rentre tête basse, tout penaude. Il faut dire à ma décharge que j'étais fatiguée et que Jean-Marc, arrivé plus tôt que prévu, m'a troublée dans mes comptes puisque j'avais bien les 7 personnes prévues pour le dîner. Le lendemain, Fereydoun prend bien garde de ne pas se faire oublier !

 

 

 

Les lacs du Néouvielle

Le lac d'AubertLe lendemain, lever de bonne heure (7 heures) pour faire la grande balade des lacs du Néouvielle, reportée déjà à deux reprises. Sylvie et Jean-Luc ont du mal à émerger, car ils sont réveillés deux ou trois fois par nuit par petit Luc qui tête encore sa mère. C'est Jean-Luc qui a le porte-bébé, Julien et Sylvie doivent donc se répartir le pique-nique, les vêtements chauds ou de pluie et la couche de Luc : il y a un peu d'affolement lors des préparatifs.

Lac d'Aumar, transparence et refletsLa route est étroite, tortueuse et un peu longue, dans cette gorge qui monte vers le pic du Néouvielle et le parc national. Deux raisons nous ont incités à partir tôt : la météo, peu encourageante, qui annonce des perturbations comme toujours au mois d'août, et en second lieu la fermeture de la route aux voitures à partir d'une certaine heure car le parking a une capacité limitée - une navette par bus assure alors la liaison avec les lacs à partir de la barrière de péage -.

Pêcheur à la ligne au lac d'AumarContrairement à l'an dernier, nous tournons le dos au lac d'Aubert, près du parking, longeons la route un petit moment pour prendre ensuite un sentier le long du lac d'Aumar qui nous mène vers une kyrielle d'autres lacs répartis sur trois vallées séparées par des cols à environ 2500 mètres (nous débutons à 2000 mètres d'altitude). Il s'agit donc d'une balade qui ne doit pas présenter de difficultés majeures, puisque le dénivelé est faible (quoique, cumulé, il avoisine les 1500 mètres en montée), si ce n'est par sa durée, ou du moins la distance à parcourir.

Lac d'Aumar : une clarté incomparableAbletteAssez curieusement, nous ne rencontrons personne pendant plus de la moitié du trajet. Pourtant, le parking était déjà à moitié rempli. Je pense que l'attraction principale est le pic du Néouvielle, auquel nous tournons de dos pour le moment, et, accessoirement pour quelques passionnés, la pêche à la ligne dans ces lacs d'une transparence extraordinaire. Il fait frais, pas un souffle d'air ne vient en rider la surface lisse comme un miroir qui reflète les montagnes et les rives boisées avec une perfection troublante. C'est à se demander si les pins à crochet qui couvrent les flans inférieurs ne poussent pas de la cime vers la racine...

AbletteComme d'habitude, captivée par le paysage, je n'arrive pas à marcher aussi vite que le groupe qui fait des pauses périodiquement et repart dès que je l'ai rejoint (et même avant). Si je n'avais pas les bâtons qui m'offrent une grande stabilité, j'aurais chuté des dizaines de fois, à garder le nez en l'air au lieu de regarder où je mets les pieds. Heureusement, Jean-Luc et Sylvie sont ralentis par le bébé, et Fereydoun filme avec sa caméra. Je m'amuse à repérer les petits poissons couleur sable qui évoluent dans cet univers glacé et translucide. Peu d'oiseaux viennent troubler le silence et seul le bruit de nos voix emplit l'espace, réfléchi par la surface du lac et les parois des montagnes.

Sylvie et FereydounAprès le plaisir du tour du lac, vient l'effort à la montée du premier col intitulé "de Madamète". Je transpire abondamment, m'étonnant d'avoir chaud et froid en même temps, à cause de la fraîcheur de l'air ambiant. En entrant dans la vallée d'Aure, nous avions remarqué des pans entiers de forêt roussis par la sécheresse et la canicule. A cette altitude, nous constatons seulement que les lacs les moins profonds ont disparu, laissant place à ces herbes particulières qui gardent la mémoire de leur emplacement. Quant à la végétation, je la trouve normale, irriguée par de multiples ruisselets qui se répandent en marécages et tourbières par endroits. La bruyère fleurie ajoute une teinte discrète dans les roses et les mauves. Au col, un petit vent se fait sentir, et nous reprenons vite la route après un en-cas. Sylvie retourne en sens inverse avec Diana et bébé Luc : il a déjà le nez rougi par le froid et supporte une altitude qui peut être dommageable pour ses jeunes tympans. Elle se "contentera" de rester autour des deux lacs que nous venons de voir et rentrera finalement peu avant nous au gîte.

RefletsJean-Luc et Julien optent pour la grande balade avec nous. L'aspect de la vallée suivante diffère considérablement de celle que nous quittons. D'une altitude plus élevée, elle comporte beaucoup moins de forêts et la végétation est rase. Nous traversons un paysage minéral avant de découvrir, vers le fond, avant le second col, un lac et les vestiges d'un autre asséché. La lumière a changé. Des passages nuageux annonce déjà qu'il ne faut pas trop s'attarder. De la pointe du bâton, quelqu'un débusque une mini-grenouille de deux à trois centimètres de longueur qui s'immobilise sur un rocher, s'imaginant invisible, puis, titillée de nouveau, s'échappe en nageant dans le faible courant du ruisselet. J'aimerais voir isards et marmottes, mais la faune reste invisible, à part quelques papillons. Même les vautours se font rares, puisqu'ils ne peuvent voler qu'avec des masses d'air ascendantes.

Lac d'altitudeJean-Luc, qui s'est attardé auprès de Sylvie pour lui confier le bébé, répartir de nouveau la nourriture et lui donner les clés de la voiture, pour qu'elle puisse rentrer séparément, si nécessaire, et ne soit pas obligée d'attendre le groupe, nous rejoint tout essoufflé, le visage dégoulinant de sueur et le tee-shirt trempé : ne retrouvant pas le chemin que nous avons suivi, il a carrément coupé à travers la vallée dans la direction du col que lui avait indiqué Richard. Grandes fleurs aux pétales soyeuxAvec ses longues jambes et son habitude de la randonnée en solitaire, il n'a pas de problème pour s'orienter et avancer au plus court. D'ailleurs, il propose de franchir un chaos de grosses roches plutôt que de suivre le sentier qui nous fait descendre puis remonter en un long détour. Il s'engage, les enfants dans son ombre. Après une hésitation, nous y allons également, bien que ce ne soit pas le genre de terrain que je préfère : il faut avoir l'oeil et le pied vif, parfois franchir des vides d'un grand pas ou d'un saut, et progresser sur d'énormes rochers aux formes irrégulières détachés de la montagne. Heureusement, ils ne sont pas glissants mais, bon, je suis contente quand ça se termine. Dans l'air serein, un grondement lointain résonne : la civilisation passe au-dessus de nos têtes, matérialisée par un avion long-courrier qui doit voler à quelque 10 000 mètres d'altitude.

Petits champignons de bouses de vacheLa troisième vallée est située sur les hauteurs de la station de ski de Barèges que nous ne voyons pas. De nombreux promeneurs s'y trouvent déjà, certains installés à pique-niquer au bord du lac Dets Coubous. Nous descendons en grappillant des myrtilles qui foisonnent au milieu des rhododendrons et de la bruyère. Elles sont bien mûres, sucrées et juteuses, apéritif bien agréable pour les randonneurs. Jonathan et AnnaJe suis contente que nous ayons quelques jeunes avec nous : je pense que ces paysages immenses et leur découverte au rythme de nos pas influera positivement sur leur façon de penser. Cela les change de la télé, de l'ordinateur ou de leurs jeux électroniques. Evidemment, ce n'est pas très ludique, de marcher simplement et monter pour redescendre. Ils préférent les activités organisées (et payantes) du genre du parcours aventure, du canyoning ou du parapente, ou encore le ski de piste pour l'hiver plutôt que la randonnée en raquettes. Ils sont sportifs, mais il leur faut des "impressions", du risque, de la vitesse. Amateurs de sports collectifs, ils aiment être entre jeunes et s'activer ensemble. Enfin, à treize ans, ils acceptent encore sans trop rechigner de suivre leurs parents, mais cela ne va pas durer, je le crains.

Anna et Jonath'Le lac Dets Coubous où nous faisons la pause déjeuner me plaît infiniment. Moins spectaculaire que les premiers, moins majestueusement hiératique, il pallie les inconvénients d'un cadre moins impressionnant par un jeu de nuage sur le miroir de son eau tranquille où flottent de longues herbes, chevelure verte d'une ondine des cimes. Le nuage est arrondi, bien blanc, et son reflet semblable à une pleine lune démesurément agrandie me transporte, l'espace d'un instant, dans un monde magique.

Reflet d'un nuage lunaireLaissant le groupe sur son rocher, je descends près de l'eau où pêchent deux jeunes gens. Je voudrais essayer de photographier les libellules, jolies carnassières, qui sillonnent l'air au ras de l'eau, se poursuivent indéfiniment en une parade d'amour accélérée puis volent en couple, l'une au-dessus de l'autre, le mâle fixé sur l'abdomen de la femelle recourbé comme celui d'un scorpion. Parfois, elles font du sur-place, cherchant des yeux leur prochaine proie, puis elles repartent brusquement, propulsées par un battement d'aile puissant et sonore, crissement et claquement à la fois. Reflet agrandi du nuageDécidément, il ne faut pas traîner. Depuis Barèges s'élèvent des nuages, d'abord simples filaments éparses et traînées diffuses qui s'insinuent et montent insidieusement vers les cimes. Ils se pressent et s'assemblent, noircissent et s'amoncellent en virant dans une large spirale ascendante.

Pendant ce temps, nous nous dirigeons vers le dernier col de La Hourquette d'Aubert (2498 mètres) par le GR10, sentier de grande randonnée qui va d'un bout à l'autre des Pyrénées. Les premières gouttes commencent à tomber au moment où la fatigue accumulée liée à l'altitude ralentissent ma marche : j'ai un voile devant les yeux, mes jambes sont lourdes et la respiration pénible ; mon coeur semble vouloir sortir de la cage thoracique. Je suis loin derrière les autres qui, au contraire, ont accéléré pour devancer l'orage. Jean-Louis m'attends, puis Jean-Luc qui redescend pour nous guider sur la fin du parcours. Ces petits désagréments physiques ne m'empêchent pas de profiter de la nature alentour. Je repère avec plaisir des petites fleurs cotonneuses de tourbières déjà vues en Ecoss et le pic du Midi de Bigorre avec son observatoire aux bulbes blancs.

NuageLe dernier lacLa bruine tombe par intermittence, et nous passons notre temps à enlever et remettre le k-way. Finalement, nous optons de le garder, tandis que des éclairs zèbrent l'espace au loin et que le tonnerre gronde. Le dernier versant est encore très différent : au cours de la balade, nous aurons vu quatre écosystèmes distincts. Nous descendons par palier et apprécions le dernier lac (Gourg de Rabas) en bordure de ravin, enchâssé dans l'enceinte des trois pics d'Aumar, d'Estibère et de Madamète, et qui me fait penser à ces piscines de luxe dans les films qui se terminent à ras de la terrasse avec vue imprenable sur la Méditerranée... Evidemment, c'est beaucoup plus beau ici. Un curieux effet de perspective me laisse imaginer que l'arrivée est toute proche (on voit déjà le lac d'Aubert en contrebas). Point du tout. Il faut encore marcher un long moment, sous la pluie de plus en plus serrée, pour rejoindre au plus court le groupe sur le départ. Nous attendons Jean-Luc, invisible. Il était pourtant devant nous, c'est curieux que personne ne l'ait vu. Il nous rejoint au bout d'un bon quart d'heure : ayant choisi le sentier qui longe le lac d'Aubert, il s'est arrêté pour nous attendre et, saisi par la beauté du paysage, s'est assis pour le contempler, insensible aux intempéries...

 

 

 

Le col de Hourquette de Héas

 

Nous souhaitions retourner au lac de Barroude mais nous avons dû réduire nos ambitions pour tenir compte de la météo très pessimiste. Nous montons en voiture à la station de ski de Piau-Engaly. Sylvie, Jean-Luc et tous les enfants passent la journée au lac de Badet tandis que nous montons au col de Hourquette de Héas à 2608 mètres d'altitude. Ici, pas d'arbres, de l'herbe, quelques fleurs et la roche nue. Peu de torrents parcourent la vallée. L'un, doté d'une jolie cascade, alimente le lac de Badet.

J'étais déçue hier de ne rencontrer ni isard, ni marmotte. Je persiste à continuer ma quête, guettant près des rochers un mouvement possible ou une tache brune inattendue. Ma patience est récompensée. Je repère une première marmotte et nous en verrons plusieurs autres, même une mère suivie de ses petits. Elles savent qu'elles ne risquent rien et se laissent observer tranquillement, tant que nous ne bougeons pas trop et ne tentons pas de nous en approcher de trop près. De toute façon, leur terrier n'est jamais bien loin et les guetteuses sifflent tout le temps pour avertir leurs congénères d'une présence intempestive. Il y a aussi de petits oiseaux des prés qui pépient en voletant de place en place et j'ai du mal à distinguer de qui émanent les sons que j'entends, marmottes ou oiseaux ?

 

 

Pic et col du Port-Vieux

Finalement, ce n'est pas plus mal que les enfants ne soient pas venus avec nous. D'abord, ils n'avaient pas du tout envie de produire un effort aussi intense qu'à la balade des lacs, et souhaitaient s'amuser tranquillement. Ensuite, il s'agit d'une seule longue montée dans un paysage plus sévère, ils n'auraient pas aimé. Le sentier, d'abord facile, se réduit comme peau de chagrin et n'est plus qu'une trace dans des schistes friables à flan de montagne. Cela inquiète Fereydoun qui craint de nous retarder et que son genou ne tienne pas : il fait demi-tour avant le sommet et rejoint tranquillement les voitures en faisant juste une courte pause pour déjeuner.

Cette fois, c'est Richard qui supporte mal l'altitude et souffre d'un fort mal de tête qui le fait peiner pour atteindre notre destination. L'effort en vaut la peine : la vue est magnifique du col. D'un côté, elle plonge sur le haut du cirque de Troumouse et de l'autre vers la vallée et les montagnes environnant le lac de Barroude, avec le col et le pic du Port-Vieux où nous étions l'été dernier.

Vers le cirque de TroumouseLe vent nous déséquilibre et nous frigorifie sur la cime très aiguë, nous n'y tenons que quelques minutes avant de redescendre vers le lac de Badet que nous apercevons tout en bas avec de minuscules silhouettes, sans doute les autres membres du groupe. Le cousin GianniEn fait, lorsque nous y serons, Richard découvrira à son immense étonnement son cousin Gianni de Bordeaux que j'avais rencontré lors de notre balade sur l'Adi (le sommet du Pays Quint, au bout de la vallée des Aldudes, près de Saint Etienne de Baïgorri). En outre, il dort dans le même village que nous, à Aragnouet. Dommage qu'il s'en aille déjà ce soir... Le monde est petit, tout de même.

Richard, Xavier, Jean-Louis et Jean-Marc sur le colNous préférons déjeuner à l'abri du vent. Une jeune femme aux mollets impressionnants qui marchait en solitaire et m'avait doublée en début de journée s'est confortablement installée dans un abri circulaire fait d'un empilement de pierres plates non loin du cairn où nous nous prenons en photo. Nous la saluons et redescendons après un dernier regard alentour. Nous essayons de rejoindre Fereydoun, mais il est déjà hors de vue. Traces sur un névéSur les hauteurs, j'aperçois à la surface d'un névé des traces circulaires. Si j'étais supersticieuse, je dirais qu'un ovni a atterri pile à cet endroit. Richard m'explique plus prosaïquement que c'est un effet de la fonte de la neige. Bon, je veux bien, mais c'est bizarre, quand même. Ou alors, il s'agirait d'un isard fou qui s'est mis à faire des cercles concentriques, ou bien un randonneur, fou aussi, qui s'est cru enfermé à l'intérieur des limites du névé ? Non ? Bon. Mais c'est quand même bizarre.

Pour parler d'un autre genre de folie, amoureuse celle-là, nous assistons durant notre repas à un combat de bélier. Nous étions assis tranquilles sur une large roche plate, à partager nos victuailles, quand nous avons soudain vu un mouton pourvu de grosses cornes recourbées reculer. Le rire nous prenait déjà quand il s'est précipité sur un de ses congénères, apparemment plus jeune, qui avait pris également son élan de la même façon. Le choc résonne affreusement. Si nous faisions la même chose, sûr que notre boîte crânienne serait brisée. En ce qui les concerne, il n'en est rien. Ils reculent de nouveau et recommencent, encore et encore. A chaque fois, l'un des deux rebondit, ou bien voit sa course déviée, qu'il poursuit malgré le heurt sauvage. Comment peuvent-ils continuer ainsi sans être assommés ? Rien que de les voir, il nous semble ressentir les chocs contre nos propres fronts, qui ébranlent nos corps entiers. Les sons nous effraient : ils se répercutent dans l'air et font écho contre les montagnes.

Pendant ce temps, la femelle dont le combat est l'enjeu broute paisiblement. Le troupeau reste de marbre et ne s'intéresse absolument pas à l'issue du combat. Ils ne jettent même pas un oeil sur eux. L'un des combattants prend l'avantage. Il démarre de plus haut et écrase son adversaire qui accuse le choc. Puis la ruse est éventée et c'est l'autre qui prend de la hauteur pour augmenter sa puissance. La cascade vers le lac de BadetAu bout d'un long moment et de multiples passes, ils sont épuisés et restent appuyés flan contre flan en s'envoyant de perfides coups de pattes. Cependant aucun ne veut céder un pouce de terrain. Le combat reprend, moins longtemps, et le vieux semble définitivement prendre le dessus, il fait mine de couvrir la femelle qui s'éloigne en trottinant, ce n'est que partie remise. L'autre prend une attitude de soumission et se remet à brouter comme si de rien n'était.

L'église en ruineCe spectacle me rappelle la curée des vautours au pied du pic d'Anie, qui m'avait également fortement impressionnée. Assister en personne à de pareils événements procure des sensations bien plus intenses que la vue d'un reportage télévisé. Bien sûr, il ne s'agit pas de lions, d'éléphants ou autres animaux exotiques. Ce sont des animaux bien de chez nous. Mais ce n'est pas pour cela que leur comportement nous est coutumier, même si nous en connaissons l'existence. Les plaisanteries fusent : certains imaginent Sylvie, qui est très pacifiste, s'interposer au milieu des belligérants en leur faisant un long discours pour les raisonner... En tout cas, il ne vient à l'idée d'aucun d'entre nous de nous mêler de ces histoires de moutons. Je crois d'abord que ce serait dangereux, et surtout totalement inutile.

Sur les hauteurs d'EspiaubeLorsque nous rejoignons l'autre groupe, les enfants se pressent pour nous raconter qu'ils ont vu une marmotte à 1,50 mètres de distance. Ils sont enchantés !... et affamés. Ils ont joué avec Jean-Luc au ballon, couru partout et fait une partie de cartes, maintenant l'heure du goûter a sonné et ils ne dédaignent pas de manger du fromage avec du pain, contrairement à leurs habitudes. Nous pensions boire un café à Piau-Engaly, mais tout est fermé, pour eux, c'est le début des vacances avant le rush de l'hiver. Je prends une dernière photo d'une église en ruine que j'ai remarquée déjà plusieurs fois, et nous retournons au gîte avant d'aller manger au petit restaurant où nous sommes désormais des habitués.

Au-dessus de la vallée d'AureLe lendemain, les enfants refont le parcours aventure avec Jean-Luc tandis que nous montons à Espiaube, la station de ski de Saint Lary, au-dessus du Plat d'Adet, où les enfants ont skié une demi-journée l'hiver dernier. La route se termine en une piste cahotique où Jean-Louis doit conduire au ralenti. Nous en profitons pour admirer le paysage, dont l'éclairage change au gré des mouvements de nuages qui deviennent de plus en plus menaçants. A l'arrivée, c'est carrément l'averse, doublée d'un vent glacial. Je sors de mes bagages tous mes vêtements que je superpose en regrettant de n'avoir pas emporté mon bonnet de ski. Finalement, nous ne faisons que quelques centaines de mètres, repérons le pic du Néouvielle, et rebroussons chemin, découragés par les éclairs et les nuages noirs qui galopent dans le ciel. Finalement, nous avons eu de la chance pour ce court séjour : le temps a tenu juste ce qu'il fallait pour que nous puissions nous balader durant ces quelques jours. Nous mangeons une dernière garbure dans notre restaurant d'Eget qui est toujours aussi rempli de convives avant de retourner dans nos pénates.

 

 

 

 

 


Sommaire des randonnées