Séjour en Vallée d'Aure
15 au 18 août 2002
Participants : Cathy, Jean-Louis, Cédric et Jonathan CONSTANT ; Christine, Jeannot et Mikel LADEVEZE ; Max, Michelle, Julien et Jérémy DUEZ ; Jean-Jacques, Nora et Florian PERARNAUD ; Richard, Anna et Sammy BISCAY ; Even ; Serge et Mikela CUELI ; Xavier CENDERENT; Dominique GILBERT ; Jean-Louis BESSOU.
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Saint Lary et randonnée au Lac de Badet
Ascension du Néouvielle
Lac de Baroude / Col du Port Vieux / Aragnouet
Canyon de Miraval (Aragon)
Le récit de Cathy
Camping
Il est prévu de longue date de faire l'ascension du Pic du Néouvielle et de nous promener autour des lacs, fort nombreux aux alentours. Bien qu'il s'agisse d'un "3000", le groupe doit atteindre ou dépasser les 20 personnes, ce qui pose des problèmes d'organisation car il faudra dormir à proximité et trouver un week-end d'août dont les prévisions météorologiques soient optimistes. Nous choisissons donc le week-end prolongé du 15 août 2002, et le camping du Rioumajou situé à proximité de Saint Lary pour l'hébergement. Pour moi, ce sera une première : je n'ai jamais campé et j'ignore si cela va me plaire.
Nous partons avec le beau temps et installons dès la fin de la matinée les tentes sur deux emplacements voisins. Il s'agit d'un camping 4 étoiles, ce qui signifie que les occupants ne sont pas trop les uns sur les autres, qu'il y a des installations sanitaires en quantité suffisante, du personnel pour l'entretien des locaux, piscine, tennis, sauna et jacuzzi, snack et boutique, sur 5 hectares boisés en bordure d'un torrent. Jean-Louis, qui n'était pas très chaud pour dormir sous la tente, aurait préféré occuper un mobile-home ou un bungalow, mais ils sont tous réservés pour cette période. Jeannot et Christine ont choisi de dormir à l'hôtel d'Aragnouet, après Saint Lary, tandis que Mikel partagera sa tente avec Cédric.
Le lac de Badet
Le montage des tentes s'est fait dans la bonne humeur, en échangeant maillet ou sardines contre des conseils avisés. Tous les enfants sont autour de Jean-Jacques (et surtout de sa fille Nora), tandis que les autres adultes s'occupent dans une ambiance plus tranquille. Finalement, ce n'est pas si sorcier que ça, et nous nous retrouvons bientôt en maillot de bain pour inaugurer la piscine. Jean-Jacques (qui déteste les baignades) brandit une bonne bouteille de Jurançon doux et Michèle extirpe de la voiture baguettes de pain frais et pâté de campagne. Accompagnés de beignets de crevettes en forme de chips et d'un autre petit vin, rouge celui-là, amené par Serge, nous en ferons notre repas avant de partir en reconnaissance au lac de Badet, au-dessus de Piau-Engaly.
Pendant ce temps, les enfants restent sur place et explorent systématiquement toutes les activités qui y sont proposées : ping-pong, billard, volley, piscine... et bain dans le torrent pour les plus téméraires (et les moins frileux). Cédric et Even s'en donnent à cœur joie, se plongeant dans les eaux bouillonnantes qui les entraînent en aval dans des eaux moins profondes qui les freinent naturellement. La gent féminine et la jeune classe ne semblent pas sensibles à ces exploits typiquement masculins et s'occupent ailleurs.
Nous sommes un peu déçus : à peine enfilées nos chaussures de marche, la pluie s'est mise à tomber, et nous en sommes réduits à nous diriger vers l'unique bar ouvert de la station en attendant qu'elle cesse. Nous faisons croire au tenancier que nous revenons d'une longue marche, pour ne pas perdre la face. Puis nous nous enquérons d'un guide pour le pic du Néouvielle à l'office du tourisme. Richard en a déjà fait l'ascension, mais c'était il y a quelques années, et en suivant son oncle. Il se souvient qu'il y avait un passage délicat à travers un névé et préfère ne pas courir de risque, particulièrement à cause des enfants. Finalement, contrairement à ce qu'il craignait, il n'y aura pas besoin de crampons, c'est déjà çà. Par contre, il est indispensable de partir de très bonne heure : rendez-vous à 7 heures du matin dans le centre de Saint-Lary, et il faudra avoir déjà pris le petit déjeuner. Nous faisons une petite marche au-dessus de Piau, puis nous nous partageons en plusieurs groupes : Max et Serge, auxquels nous laissons une voiture, partent au lac de Badet à une vitesse défiant toute concurrence, Michèle, Jean-Louis B. et moi faisons les courses pour le lendemain, Richard et Jean-Jacques achètent des chaussures de marche et Jean-Louis un bâton.
Le soir, nous retournons à Saint-Lary avec les enfants pour dîner, mais le village, très touristique, est bondé et il est difficile de faire manger ensemble une vingtaine de personnes à la fois : nous devons patienter un temps infini sur la terrasse de la pizzeria en nous gelant un peu dans l'air frais du soir. Serge s'inquiète tout d'un coup : il ne trouve plus son portefeuille. Il passe une bonne partie de la soirée à le chercher partout où il est passé, avec l'aide de Richard qui le ramène au camping, puis il entreprend des démarches par téléphone pour déclarer sa perte (et celle de sa carte bleue). Quelle contrariété ! De retour à son domicile, il trouvera sur son relevé bancaire des sommes débitées d'une valeur légèrement inférieure à 15 € et croira d'abord que des opérations ont été effectuées par le voleur, et puis finalement il s'avèrera qu'il s'agissait uniquement des frais d'opposition.
Nous sommes étonnés de la beauté des maisons anciennes à encorbellement de Saint-Lary, à l'apparence très cossue, aux murs recouverts de galets soigneusement disposés, avec des arcades ourlées de plaques de schiste martelé et des fenêtres à meneaux, des toits d'ardoises, des poutres apparentes sur les façades. C'est un village situé dans la vallée stratégique d'Aure qui communique par trois vallées avec l'Espagne : les vallées de Rioumajou, du Moudang et le vallon de Saux (qui se termine par le grand tunnel d'Aragnouet-Bielsa). Témoignant de l'ancienneté de la présence humaine en ces lieux, les grottes préhistoriques de Gargas, à Aventignan (à 40 kms de Saint-Lary en aval) conservent des peintures de mains mystérieuses cernées de couleurs datant de 25 000 à 30 000 ans. A Cadéac-les-Bains se trouvent des tumulus de l'âge de fer. A Peyre-Blanque, au-dessus du village de Gouaux, il y a un site remarquable de pierres dressées. A Grézian, on peut voir une croix celte dans le cimetière. Décrit par César, le chemin de la Ténarèze reliait déjà depuis la nuit des temps l'Aquitaine à la plaine de l'Ebre, via les cols du Rieumajou. Les trois hospices d'Aragnouet, du Rieumajou et d'Agos témoignent du passage des pélerins vers Saint-Jacques de Compostelle. A partir de Tramezaygues, ces derniers passaient en Espagne, soit par le Rieumajou, soit par la vallée de Saux et le port de Bielsa.
L'économie de la vallée est fondée depuis des temps immémoriaux sur l'élevage de bovins et d'ovins. Liée aux vallées espagnoles, l'utilisation des estives (pâturages) était réglementée par des traités de commerce et de bon voisinage. Dans la montagne, les forêts fournissent le bois (Gouaux, Aspin-Aure), les carrières de marbre (Ilhet, Beyrède, Sarrancolin), les torrents l'eau et l'énergie (Guchen), les pâturages (Véziaux) l'herbe grasse pour les troupeaux. Chacune de ces activités, depuis des siècles, façonne le paysage de la vallée, les routes, chemins, sentiers, les canaux d'irrigation et rigoles, les granges foraines qui marquent la moyenne montagne. Plus haut, le milieu devient rude, domaine du minéral ( Arbizon) et aussi de la végétation exceptionnelle aux espèces endémiques (Réserve d'Aulon, Parc National des Pyrénées, Réserve naturelle du Néouvielle). Les mines de manganèse de Vielle-Aure aujourd'hui épuisées, à 2 km de Saint-Lary, comportent un circuit touristique à travers les galeries souterraines.
etite anecdote à propos d'Ilhet : Cette commune voisine de Sarrancolin est connue pour sa carrière de marbre. Ce marbre unique au monde a été employé à l'Opéra Garnier, à Versailles…, produit de luxe, les grandes stars du show-biz l'achètent pour leurs somptueuses maisons.
Vers 1860, la pression démographique trop forte a raison d'un équilibre séculaire et provoque un spectaculaire exode rural. A cette même époque, afin d'augmenter le débit de la Neste et pourvoir les plaines du piémont en eau, il est décidé d'aménager les lacs du Néouvielle (Barrage d'Orédon de 1869 à 1884 - Cap de Long 1901-1919). Ces retenues vont aussi servir pour la production hydroélectrique. Cet effort d'aménagement et d'exploitation s'accompagne d'initiatives visant à préserver le patrimoine avec l'ouverture d'un laboratoire à Orédon (1922), puis de la réserve du Néouvielle (1935), ce qui représente aujourd'hui un enjeu pour la vallée, dont le dynamisme économique et démographique dépend des activités touristiques. En 1963, est créée la station de St Lary, en 1970 Piau-Engaly. Enfin, le percement du tunnel Aragnouet-Bielsa en 1976 a permis de désenclaver la Haute Vallée et de l'ouvrir à l'Espagne.
L'ascension du Néouvielle
C'est Max qui va d'une tente à l'autre pour réveiller tout le groupe avant l'aube. Nous sortons en silence, montons dans les voitures, prenons rapidement notre petit-déjeuner froid sur les tables du snack du camping et rejoignons le guide, Pascal, qui nous attend à 7 heures au centre de Saint-Lary. Il faut près d'une heure pour nous rendre au lac d'Aubert situé à une altitude de 2150 m à l'intérieur de la réserve naturelle du Néouvielle. Son accès en voiture est réglementé, limité en nombre et payant. A partir de 9 h 30, il est obligatoire d'emprunter une navette.
Après l'austérité et l'étroitesse de la gorge de Couplan, nous découvrons avec émerveillement les lacs d'Orédon, d'Aubert et d'Aumar, ainsi que celui de Cap de Long, légèrement au-dessus. Dans la claire lumière matinale, leur surface immobile reflète avec une précision étonnante les montagnes alentour. Des pins à crochet d'allure méditerranéenne perchés sur des îlots semblent pousser à l'envers, de la pointe vers la racine. Les limites des rives se fondent dans leur reflet, donnant une curieuse impression de lévitation du relief au-dessus de l'eau. Près du barrage, de grands troncs dénudés flottent, à demi immergés.
Nous nous arrachons à regret à cette contemplation pour entreprendre l'ascension du pic. Le rythme est d'abord lent. Pascal, le guide, s'inquiète : "Si nous devons attendre un quart d'heure les retardataires dès la première demi-heure de montée, nous ne sommes pas rendus !" Il choisit de se mettre au rythme des plus rapides (principalement les enfants) et laisse les autres se débrouiller comme ils peuvent. Ce n'est qu'aux endroits qu'il estime réellement délicats qu'il daignera nous attendre un peu pour nous donner quelques indications techniques (choisir le bon passage, prendre les bons appuis, une position correcte du corps...) et parfois, très rarement, nous aider de la main.
Contrairement au pic d'Anie et au pic du Midi d'Ossau, la déclivité est forte dès le départ et la progression est rendue difficile par la qualité du sol : nous n'avançons que rarement sur un sentier, bien plus souvent, il s'agit de chaos de roches et d'éboulis siliceux qui obligent à une attention constante. C'est un environnement très minéral où seule l'herbe émaillée de fleurettes réussit à subsister. L'altitude aussi nous gêne : la raréfaction de l'oxygène combinée à ce rude effort provoque chez nombre d'entre nous un fond de mal de tête dont Jean-Louis ne parviendra que difficilement à se débarrasser en fin de journée, une fois de retour au camping, en faisant une longue sieste sous la tente.
Michèle s'inquiète : accompagnée seulement de son mari en queue de convoi, elle a mal à la poitrine. Comme elle s'est fêlé une côte récemment, elle pense que la douleur s'est réveillée avec les fortes inspirations. En fait, comme pour nous tous à l'approche des 3 000 mètres d'altitude et avec la forte déclivité, c'est le coeur qui bat plus fort et cogne dans la poitrine, et la respiration qui s'essouffle : cela donne un peu l'impression d'être au bord de la crise cardiaque, particulièrement pour les moins entraînés d'entre nous. La tête tourne un peu, il faut faire des haltes fréquentes, nous transpirons à qui mieux mieux en soufflant comme des phoques : ce n'est pas une ascension bénigne. En plus, comme nous n'avons pas beaucoup dormi la nuit précédente (première nuit sous la tente), la fatigue accumulée joue en notre défaveur. Jean-Jacques, lui, avouera plus tard qu'une forte douleur à son tendon d'Achille s'est réveillée, et qu'il a dû prendre beaucoup sur lui pour arriver au sommet en dépit de son manque d'entraînement.
Alors que nous ne voyons pas le bout de cette ascension, le passage des névés vient faire diversion. Les enfants adorent, quoique certains soient très mal chaussés. Même moi, malgré l'aide de mes deux bâtons télescopiques, je glisse avec mes chaussures de montagne. Le guide est très strict : il attend que tout le groupe soit réuni et donne ses recommandations. Il faut rester en file indienne, mettre nos pas dans les siens, surtout ne pas s'en écarter, avancer lentement et prudemment. Parfois, la glace recouverte de neige cèle des gouffres insondables, particulièrement près des roches qui emmagasinent davantage la chaleur du soleil qu'elles diffusent alentour en faisant fondre le glacier. Les rochers deviennent plus gros, et il faut faire de grandes enjambées de l'un à l'autre avec nos semelles humides en tâchant de faire abstraction des failles qui s'ouvrent dans les interstices. Je reste bloquée un moment par la crainte : perchée sur mon rocher pentu, je n'ose m'élancer pour atteindre le suivant en faisant fi du vide. Jean-Louis m'encourage et me tend la main. Je préfère lui demander de s'écarter pour passer à l'endroit où il se tient. Ouf ! C'est fait ! Mais comment sont passés les plus jeunes, et notamment Sammy, âgé de 9 ans seulement, et tous ceux de 12 ans aux petites jambes ? Ils sont tellement mobiles et dépourvus d'inquiétude qu'ils n'ont sans doute pas éprouvé de difficulté particulière.
Enfin nous arrivons au sommet ! Je n'en ai jamais vu d'aussi exigu. C'est une succession d'aiguilles aux parois très inclinées sur lesquelles nous sommes perchés comme des oiseaux sur la branche. Nous sommes fiers : 3 000 mètres, ce n'est pas rien, et nous les avons gagnés à la sueur de notre front, à force de volonté. Pour beaucoup, c'est une première. Seule Michèle manquera à l'appel, elle nous attend à la base du premier névé (ce qui n'est déjà pas si mal). Max atteindra le sommet presque en même temps que nous, après avoir contourné un névé à marche forcée et escaladé une paroi (en se faisant un peu peur) sans être assuré par aucune corde. Quel homme !
Le pique-nique est vite expédié : nous ne pouvons pas bouger de nos places et devons nous passer les aliments de l'un à l'autre en prenant garde à ne pas lâcher trop tôt sous peine de voir notre repas disparaître dans le précipice. Je rattrape un jumeau par un bras : il est en train de glisser de manière incoercible dans la pente. Des nuages arrivent et envahissent le ciel en "se formant" de façon suspecte : le guide les examine attentivement. Le grain est proche, il ne faut pas s'attarder. La descente est plus rapide et nous retrouvons Michèle parmi les acclamations. Elle ne s'est pas ennuyée, conversant avec des chèvres peu sauvages et deux autres randonneuses qui ont calé au même endroit. Ensuite, voyant le temps tourner, elle a entrepris tranquillement la descente. Nous observons les vautours. Ils étaient absents pendant toute la matinée, et convergent depuis l'horizon vers la base du cumulus le plus sombre où ils se mettent à monter lentement en spirale. Ils profitent du nuage pour prendre de l'altitude, profitant de la colonne d'air aspirée vers le haut. Si nous voulons faire du parapente de façon autonome, nous pourrions leur demander des cours pour mieux comprendre les mouvements invisibles des masses d'air.
Dans le dernier tiers de la descente, la pluie commence à tomber. Il est près de 4 heures de l'après-midi. Florian se tord un peu le pied et son père le porte un moment. Finalement, ce n'est pas une entorse et il se remet à courir comme un lapin : sans doute était-il impressionné par l'orage et les éclairs. Nora descend en gémissant et son père fait la sourde oreille tout en restant à proximité et en la surveillant du coin de l'oeil. Ses pieds mal chaussés glissent et se tordent sur les roches devenus glissantes avec l'humidité. Elle a eu beaucoup de mal dans la montée, et peine encore plus en descente, d'autant qu'elle préfère nettement la gym' au sol et les sauts périlleux à la randonnée en montagne (elle s'apprêtait à partir en petites chaussettes de ville et il a fallu insister pour qu'elle emprunte les chaussettes de sport de son frère - qui n'était pas ravi de les lui passer). Cédric, lui, avait failli oublier son k-way et avait dû courir à la tente au dernier moment. Résultat, il oublie de bien la refermer et, avec l'averse, le sac de couchage de Mikel sera trempé et une flaque s'accumulera sous le matelas. Celle de Jean-Jacques aura le même problème, ainsi que celle de Richard et celle de Max. Le camping, c'est bien, mais par beau temps ! Ils doivent éponger vaille que vaille et étaler les affaires humides dans les voitures. Des serviettes de toilette ont été oubliées sur une tente, laissées là à sécher : évidemment, elles sont trempées. Pour nous détendre, nous faisons un plongeon dans la piscine sous la pluie : mouillés pour mouillés, autant l'être agréablement !
Le soir, nous avons réservé la salle commune du camping et commandé au snack un repas pour tout le groupe. Ainsi, dès 7 heures, nous nous retrouvons attablés avec deux nouveaux convives, Xavier, instituteur dans l'école de Richard et Dominique, un parent d'élève, ainsi que Jeannot et Christine qui ont averti préalablement l'hôtel où ils sont théoriquement en demi-pension. Nous racontons nos exploits et Jeannot et Christine nous décrivent le canyon de Añisclo, en Aragon, où ils ont effectué une marche plus tranquille. Ils nous donnent envie de le parcourir une autre fois, il semble superbe.
Après le dîner, chacun se disperse : un petit groupe s'attable pour une partie bruyante de mus (le poker basque), d'autres partent jouer au ping-pong ou discuter dans les tentes seulement éclairés d'une lampe de poche. Postée en bordure du torrent, près des tentes, je reste un moment à regarder le ciel vidé de ses nuages qui s'assombrit. Derrière les frondaisons, la lune brille, à son premier quartier. La Grande Ourse s'étire, Richard explique à Serge et Xavier comment repérer l'étoile polaire et la Petite Ourse. Un peu plus tard, j'aperçois une étoile filante et Cédric, la tête rejetée en arrière à guetter le ciel, me confie qu'il en a vu une très distinctement, lui aussi. Le calme s'installe dans les tentes, seulement troublé par le bruit du torrent, semblable à une forte pluie qui ne cesserait jamais.
Lac de Barroude
La deuxième nuit sous la tente est plus reposante, au moins pour ceux qui ne dorment pas dans une couche humide. Nous avons donné quartier libre aux enfants pour la journée suivante : ils préfèrent s'amuser tranquillement au camping sous la surveillance somnolente de Jean-Jacques et de Michèle. Pendant ce temps, nous entreprenons une marche plus aisée mais très longue dont le but est le lac de Barroude. Il s'agit d'une randonnée en moyenne montagne. Par rapport au pic du Néouvielle, le paysage est plus ouvert, riant et fleuri. Dans l'herbe bien verte malgré l'avancement de l'été, de gros champignons poussent, rosés des prés et vesses de loup qui apprécient cette alternance quotidienne de soleil et de pluie. Max en mange un tout cru et semble se régaler (il paraît que les rosés sont de la même famille que les champignons de Paris).
Soudain, nous percevons un mouvement : une marmotte court d'un rocher à l'autre, puis s'arête à distance respectable pour nous observer d'un oeil. Une autre surgit, puis encore une autre. Ceux sont de grosses mémères de la taille d'un chien qui courent en balançant leur longue queue fournie à raies noires transversales. Je fais halte pour les observer à la jumelle. Pendant ce temps, Dominique abandonne : nouveau venu dans notre groupe, il n'aura fait qu'une apparition fugace. Il a suivi le rythme de Richard, Serge et Xavier durant la première demi-heure et s'est retrouvé totalement asphyxié (il fume beaucoup et manque d'entraînement). Il nous attendra pendant toute la journée à Piau-Engaly où il fera une petite promenade en solitaire après une bonne sieste récupératrice.
Une petite grenouille jaune et noire bondit devant mes pieds et disparaît dans un terrier. Serge sera content : Pascal, notre guide de la veille, s'était moqué de lui quand il avait annoncé qu'il en avait vu une. Il était persuadé qu'il l'avait confondue avec une salamandre. Les moutons à moitié pelés, marqués d'un seau de peinture bleue jetée sur le dos, sont particulièrement affreux, surtout en comparaison avec leurs congénères d'Ecosse élevés pour leur laine douce et blanche. La nature est majestueuse ; elle varie au fur et à mesure que nous changeons de vallée. Nous avons laissé une voiture non loin d'Aragnouet et sommes partis de Piau-Engaly, ainsi nous profitons d'une plus grande diversité de paysages et évitons le simple aller-retour. Au pied d'un pan de montagne érodé, Serge et Jeannot ont repéré des taches marron clair : il s'agit de deux isards qui prennent le soleil, allongés sur un névé. A la jumelle, nous en distinguons un troisième qui broute dans les rochers à proximité.
Il n'y a pas beaucoup de dénivelé, mais nous ne cessons de monter et descendre. Au bout du compte, cela doit bien faire une petite montagne si l'on additionne tout. Après les estives, nous passons dans un goulet en longeant une falaise impressionnante d'au moins 200 mètres de haut. J'imagine le panneau "Attention, chute de pierres" et j'espère in-petto que le ciel ne va pas me tomber sur la tête. Le lac de Barroude est toujours invisible, occulté par un repli de terrain, par contre, nous commençons à distinguer le glacier qui l'alimente. Nous hâtons le pas pour rattraper les autres : enfin le voilà ! Qu'il est beau ! Ces îlots aux roches déchiquetées qui se reflètent dans l'eau pure lui donnent un charme particulier. L'eau change de couleur suivant la profondeur des fonds, les nuances du ciel et le reflet de ses rives. Nous restons sur les hauteurs et pique-niquons les yeux fixés sur ce tableau offert par la nature. Ensuite, nous nous approchons. L'eau est fraîche mais elle ne saisit pas, bien qu'elle soit directement issue de la fonte du glacier, cependant la main mouillée perçoit davantage le froid de la bise.
Autrefois, il y a une vingtaine d'années, les glaciers pyrénéens étaient plus importants mais ils se réduisent d'année en année comme une peau de chagrin. Richard se souvient d'avoir traversé un seul gros névé au Néouvielle : nous en avons franchi trois petits. Celui de Barroude a façonné toute la vallée dont il n'occupe maintenant qu'une infime portion. Après avoir pris un café au refuge alimenté en électricité par des panneaux solaires près duquel est installée une petite station météorologique, nous nous séparons en deux groupes. Jeannot, Christine et Jean-Louis B. amorcent directement la longue descente vers Aragnouet tandis que le reste du groupe fait un crochet par le pic du Port Vieux.
Le rythme accélère. Suivant les indications du tenancier du refuge, nous grimpons au Port de Barroude sur un terrain de schiste tout délité en plaques fines rosées totalement dépourvu de végétation qui nous fait penser à un sol volcanique. Ensuite, nous allons au sommet, pour le plaisir, bien qu'il faille retourner en arrière pour trouver un sentier en contrebas du côté espagnol, exposé au sud, dont les rocailles instables et l'herbe glissante m'inquiètent quelque peu. Enfin, d'une démarche à demi dérapante, nous atteignons le Port Vieux à partir duquel Serge et Max dévalent la pente tout schuss en courant afin de dépasser l'autre groupe et arriver avant lui à la voiture : Quels fous ! Jean-Louis et Richard marchent plus posément tandis que sur la fin je m'aligne sur le rythme de Xavier qui souffre des genoux et nous arrivons bon derniers, juste au moment où la pluie se déclenche !
Nous considérons tous que c'est l'une des plus belles balades que nous ayons jamais faite, quant à la longueur, la variété des paysages traversés et la beauté du lac et de son site. En passant à Saint-Lary, nous aurons juste le temps de faire une halte sous des trombes d'eau pour nous enquérir de guides afin de faire du canyoning en Aragon le lendemain et nous arriverons à point nommé pour le dîner au camping : quelle journée !
Canyon de Miraval
Une fois de plus, il faut partir de bonne heure, et en outre nous devons plier les tentes et ranger tout le paquetage dans les coffres avant 7 h 1/2. Les enfants ne protestent pas, la perspective du canyoning leur fait accepter toutes les contraintes. Seul Jean-Jacques reste avec sa petite troupe : les jeux d'eau ne l'enchantent guère et il propose en contrepartie un baptême de parapente aux trois enfants. Malheureusement, le vent du sud contraire les obligera à y renoncer. Dommage pour eux ! Xavier et Dominique sont partis la veille, de même que Jeannot et Christine. Nous ne sommes plus "que" quinze, Michèle et les jumeaux ayant été entraînés par l'enthousiasme général, malgré une légère défiance initiale.
Je suis contente, depuis le temps que je rêvais d'en faire... Il s'agit d'un aller simple, de l'amont du rio Yaga vers l'aval, dans le canyon de Miraval. Nous laissons une voiture à l'arrivée et nous entassons dans les autres. Nous suivons la voiture des guides sur une piste cahotique au bout de laquelle nous nous garons. Ce n'est pas triste, d'enfiler une combinaison à sec et nous nous moquons de nos allures respectives, coiffés de casques peu seyants. Le trajet durera quatre heures, de 10 h à 14 h, et nous avons acheté à l'épicerie espagnole de la station essence en aval du tunnel de Bielsa quelques barres de céréales pour tenir jusqu'au déjeuner, suivant les conseils avisés du guide. Elles sont fourrées dans de petits bidons étanches que nous introduisons avec quelques bouteilles d'eau dans des sacs à dos plastifiés. Max emporte également son appareil photo numérique conservé également dans un bidon étanche.
Dix minutes de marche suffisent à nous mettre en nage. Les guides, évidemment, sont en maillot de bain et n'enfilent leur combinaison qu'au dernier moment, les coquins ! Ils nous prennent vraiment pour des touristes ! Tant pis, le ridicule ne tue pas. L'air sent la lavande, le buis et le thym, les cigales crissent, la lumière nous éblouit : Ah, l'Espagne ! C'est incroyable comme le climat peut être différent simplement en passant la crête des Pyrénées pour passer sur le versant sud. Nous descendons un rocher en rappel et sautons dans l'eau où nous devons nous plonger entièrement pour qu'elle s'infiltre à l'intérieur des combinaisons et se réchauffe avant que nous nous engagions dans le canyon, très étroit à ce niveau. Les cris fusent et chaque descente est soulignée par les acclamations et les applaudissements.
Nous marchons d'abord sur des rochers, puis nageons sur le dos, le regard tourné vers le haut des falaises où pousse une végétation quasi méditerranéenne dont les effluves descendent jusqu'à nous. Premier toboggan aquatique : seuls les adultes passent, Anna et Jonathan sont très déçus. J'en touche un mot aux guides qui les feront ensuite participer à tout, sauf au saut de 8 mètres, réservé aux plus téméraires (Serge, Cédric et Mikel). Par contre, ils sauteront avec enthousiasme (et moi, la crainte au ventre, et après les encouragements répétés du guide) depuis 4 mètres de hauteur ! Les toboggans se descendent de deux manières, suivant leur configuration à l'arrivée : sur le dos, les mains posées sur les cuisses pour ne pas s'écorcher sur les rochers et le menton serré contre la poitrine, ou sur le ventre, avec plongeon garanti à l'arrivée, au milieu des éclaboussures.
Nous n'avons pas le temps de nous ennuyer. Les temps calmes de nage en eau calme ou de marche sur les roches découvertes ou légèrement immergées et glissantes alternent avec des activités qui nous font un peu peur et nous excitent en même temps, poussés par l'émulation et heureux de vaincre notre appréhension. Nous passons à califourchon sur un tronc d'arbre à un mètre cinquante ou deux mètres de l'eau bouillonnante, nous laissons glisser, entraînés par le courant, sous des rochers ou des branchages coincés, nous introduisons sous une cascade en rideau que nous traversons et plongeons depuis les rochers dans des cuvettes naturelles. Le pauvre Sammy est un peu jeune. La partie la plus sombre et encaissée l'impressionne beaucoup et comme il faut être la plupart du temps dans l'eau, relativement fraîche (sans doute une quinzaine de degrés), il est frigorifié et finit par pleurer comme une âme en peine.
Heureusement, ce n'est que le premier tiers du parcours. Le canyon s'élargit bientôt et un peu de repos sur un rocher ensoleillé agrémenté de barres chocolatées ont raison de son humeur chagrine. Désormais, il participera pleinement aux activités et s'amusera comme les autres. Nous nageons dans des piscines naturelles à l'eau tiédie par le soleil matinal, renouvelons à plaisir les sauts et plongeons des rochers et marchons en nous retournant de temps à autre pour voir les montagnes qui se découpent en perspective dans l'échancrure du canyon. Que c'est beau ! A la fin du parcours, que nous terminons à regret, Jonathan fera le plus beau compliment : "Maman, c'était encore mieux que j'imaginais !".