30 septembre 2001
Participants : Jean-Louis, Cathy, Nicolas, Cédric et Jonathan Constant ; Richard et Anna Biscay ; Max, Michèle, Julien et Jeremy Duez ; Marich' ; Sylvie, Diana, Julien et Romain (un copain) ; Jean-Louis Bessou.
Le récit de Cathy
Une journée MAGNIFIQUE, comme nous l'avions rêvée, et même mieux, s'est déroulée hier dimanche 30 septembre. Levée de bonne heure (le départ était prévu à 8 heures), j'ai découvert en ouvrant volets et rideaux que le ciel était uni et entièrement dégagé de tout nuage : un vrai temps de septembre, pas très chaud mais clair et limpide - c'est important, car nous avons projeté une sortie exceptionnelle au nord des Landes avec de nombreux participants (nous sommes dix-sept, dont dix enfants) -. Pendant le trajet, le soleil s'élève au-dessus de l'horizon et éclaire de biais la forêt de pins zébrée de brume fine qui traîne au ras des fougères, à travers laquelle nous pouvons presque compter les rayons de lumière nettement détachés. Les bruyères en fleurs, tardives, couvrent d'un tapis bicolore rose et mauve la vaste étendue de sable, particulièrement vivaces dans les clairières où pointent à distance régulière les têtes fines vert tendre des jeunes pins nouvellement plantés.
Je me plais à imaginer la présence des biches dans les bois tout proches mais crains leur apparition inattendue autant qu'inopportune au beau milieu de la chaussée de l'autoroute. Fort heureusement, elles ne passent que rarement, et de préférence au crépuscule ou la nuit. Nous trouvons sans difficulté le centre du parc naturel régional des Landes de Gascogne situé dans le minuscule village de Saugnac (sortie d'autoroute Le Muret) aux maisons typiques mais malheureusement un peu délabrées et désertées. Un gîte y a également été implanté afin de redonner vie et activité à cette campagne isolée. Nous sommes tous des habitués des activités nautiques sportives et nous nous mettons rapidement en tenue : maillot, tee-shirt et sweat-shirt (pas de k-way, vu le temps - sauf Jean-Louis B. -) et chaussures de toile. Nous prenons nos sacs de pique-nique et nous dirigeons vers la base où l'on nous équipe de gilets de sauvetage et de pagaies, ainsi que de bidons étanches pour y abriter les affaires que nous emportons avant de monter dans un bus qui nous emmène à Pissos.
De là, nous aurons la journée pour descendre la rivière jusqu'au centre (cinq heures de navigation pour une quinzaine de kilomètres, sans compter la pause repas). Le moniteur nous donne des informations intéressantes sur la région. Par exemple, les ressources ne sont plus limitées à l'exploitation de la filière bois et à la culture du maïs. Moyennant l'apport d'engrais, bien sûr, car le sable est un bon support mais il ne nourrit pas, et l'eau n'est jamais loin, la nappe phréatique étant très haute, les Landais se sont mis à diversifier les cultures : carottes, asperges, fruits rouges (pour une bonne part à destination de la Grande Bretagne car les Anglais en sont friands) - groseilles, myrtilles, framboises -.
Le bus s'arrête sur un espace plat en bordure d'un élargissement de la rivière qui forme un petit lac. L'eau est brune. Les pluies abondantes de ces dernières semaines qui ont succédé à la sécheresse du mois d'août ont gonflé les rus et arraché la faible couche de limon des rives sablonneuses. Le moniteur nous montre en quelques minutes le maniement de la pagaie, et c'est parti ! Les équipes se forment rapidement, poussent les embarcations à l'eau et se répartissent les rôles : à l'avant le matelot, à l'arrière le barreur (qui imprime la direction avec la pagaie). Première surprise, l'étendue d'eau débouche immédiatement sur un rapide dans le passage où la largeur de son cours se réduit. Anna hurle : elle est montée avec Julien et, la coordination n'étant pas parfaite, ils s'apprêtent à dévaler l'eau (légèrement) tumultueuse de biais, et même à reculons. Peu importe ! Les canoës de plastique sont très stables et nous ne sommes pas sur la Nive à Bidarray ; les remous ne durent pas, provoqués seulement par la présence d'un tronc d'arbre tombé en travers du cours d'eau que le flot peu profond franchit en bondissant, animé d'un vif courant. C'est d'ailleurs ce qui m'étonne. Lorsque nous étions allés faire du kayak sur le courant de Huchet, qui n'a de courant que le nom, et dont l'embouchure se situe dans l'anse de Port d'Albret, il avait fallu ramer continûment, sinon l'embarcation n'avançait pas. Ici l'eau, dont la profondeur varie entre 40 centimètres et deux mètres cinquante-trois mètres, bénéficie d'une réelle pente et s'écoule parfois à vive allure. Richard et moi attendons le passage de notre progéniture respective. Jonathan et Jérémie pagaient dans le plus grand désordre. Le bateau bute alternativement contre une rive ou l'autre, avance de côté ou bien à reculons.
Les apprentis marins se rejettent mutuellement (et bruyamment) la faute des fausses manœuvres. Cela ne se passe guère mieux avec l'autre jumeau, Julien, qui reste bloqué un moment avec Anna au premier passage délicat. Personne n'est épargné. Un arbre bouche la moitié de la rivière face à nous. Le courant, dans le passage rétréci sous le tronc légèrement soulevé, accélère et Richard donne un coup de pagaie un peu trop énergique. Il se glisse sous le tronc en se penchant sur le côté tandis que l'autre moitié du canoë, engagé de biais, se retrouve face à un passage impraticable. Je crie, les deux mains en avant pour me protéger, et un moignon de branche manque de me perforer la cuisse. Légèrement écorchée à un doigt, avec plus de peur que de mal heureusement, je déplace le canoë en m'appuyant au tronc, et je peux enfin passer à mon tour. L'intérêt de la descente tient dans le fait que la Leyre est parsemée d'arbres, troncs et branchages divers qui en pimentent le parcours. L'ennui concomitant réside dans l'attention permanente qu'il faut maintenir, toute faute étant punie d'un échouage ou d'une rencontre brutale avec les obstacles. Cela étant dit, ce n'est quand même pas hors de portée, mais... il faut un peu de coordination dans les équipes, et celle-ci se forge peu à peu jusqu'à l'arrivée au premier pont où nous faisons halte pour déjeuner. Dans les passages tranquilles, nous jouissons du calme de la forêt silencieuse baignée d'une douce lumière.
Tantôt formée majoritairement de pins, tantôt de chênes aux feuilles petites et espacées, et tantôt d'un mélange des deux, elle n'est ni monotone ni ennuyeuse. Des champignons poussent dans la mousse des berges, sur les troncs en décomposition ou sur les arbres vivants. Des libellules bleu métal ou émeraude fendent l'air au ras des flots tandis que des insectes marchent en tous sens sur l'eau, regroupés en une foule pressée. Une bergeronnette à la longue queue et aux éclairs chatoyants bleus et jaunes se laisse admirer un moment sur un arbre penché avant de s'envoler d'un brusque coup d'aile à la recherche de moucherons. Des îles se forment parfois autour d'un tronc d'arbre étalé dans la longueur du courant, et de curieuses fougères aux folioles anormalement larges prennent racine sur le bois en décomposition et se penchent élégamment vers l'eau. Entre temps, Anna s'est fait une philosophie et décide de laisser le plus souvent son jeune partenaire diriger seul l'embarcation tandis qu'elle se repose.
Nous passons devant Michèle et Max et constatons, une fois de plus, que le bateau est nuisible à l'entente des couples. Michèle, comme Anna, décide de ne plus pagayer puisque dans toutes les hypothèses, elle se fait attraper ! Cédric est heureux comme un roi, seul sur son kayak, et s'offre même le luxe de venir décoincer le bateau de son frère en s'enfonçant, impavide, dans l'eau fraîche (14-15°C). Peu après, je décide de prendre Jérémie à mon bord tandis que Richard monte avec Jonathan. Tous deux protestent avec vigueur pour ne pas être séparés : "Mais non ! On se disputait pas, on discutait...!" Nous rejoignons Nico et Marie-Ch' qui ont trouvé une façon originale de franchir les obstacles. Au lieu de passer sur la droite, où l'espace entre la rivière et un tronc d'arbre tombé en travers du cours d'eau est suffisant, nous les voyons enjamber l'un après l'autre le tronc tandis qu'ils font glisser le canoë au-dessous ! L'équipe la plus calme est celle formée par Sylvie, Jean-Louis C. et la petite Diana. Les deux adultes laissent le courant les emporter en tournant mollement tandis que le calme de la forêt les pénètre, et que Diana s'évertue à ramer... Ils ne reprennent la direction (relative) des opérations qu'aux passages délicats, en écartant de leur visage les branchages qu'ils n'ont pu éviter. L'équipe qui deviendra la plus performante au fil des kilomètres sera celle de Julien (le fils de Sylvie) et de son ami Romain.
Jérémie et moi passons devant un petit groupe, parti un peu avant nous, qui prend l'apéritif sur une dune au soleil, dans la forêt clairsemée de pins, leurs canoës échoués sur une petite plage. Un autre groupe, plus loin, a déjà entamé les sandwiches, et nous désespérons de rejoindre la tête de notre propre petite communauté pour avertir que nos estomacs crient aussi famine. Heureusement, au premier pont annoncé par le moniteur, ils sont déjà nombreux à avoir fait halte et ils nous attendent et nous aident à tirer les canoës au sec. Ici, la forêt de conifères et feuillus mélangés est un peu plus dense et trop ombragée. Nous sommes tous plus ou moins humides à des degrés divers et préférons aller manger sur le pont (mais oui !) disposant nos victuailles sur le trottoir et guettant, penchés à la rambarde, l'arrivée des retardataires.
Nous nous rappelons quand même qu'il y a une autre équipe manquante : celle de Julien et Anna, et que la vraie raison de leur retard doit leur être imputée. En effet, nous voyons arriver Anna, ravie de se laisser porter par Max, tandis que Michèle peine avec son fils. Là aussi, les équipes ont dû être modifiées en cours de route pour une meilleure efficacité (nous ne voulons pas finir à la nuit !). Michèle n'en peut plus : elle reste à proximité des bateaux et s'allonge un peu sur son tapis de plage après s'être restaurée. Richard a pensé au vin, j'ai amené du chocolat (blanc pour les enfants, aux noisettes et raisins pour les adultes) et nous nous régalons, debout ou assis au bord de la route bitumée - peu fréquentée - tandis que nos vêtements sèchent au soleil. Mais ce n'est pas le tout ! Il nous reste encore au moins dix kilomètres à parcourir.
Jean-Louis prend Jonathan avec lui, Sylvie embarque Jérémie, Max garde Anna, je monte avec Michèle, Richard prend le kayak et Cédric monte avec Julien, tandis que Jean-Louis B., bien rodé, garde son kayak. Il m'a confié son vêtement chaud et il a bien fait car, tout d'un coup, nous entendons un gros choc et un gros splatch! : je me retourne vivement, en pensant immédiatement que Jonathan a été renversé à l'eau par son père ! Mauvaise langue ! Eh bien non ! C'est Jean-Louis B., plus rapide avec son kayak sur lequel il rame en position semi-allongée, qui a voulu contourner un îlot par l'autre côté et a buté contre un tronc d'arbre fort brutalement.
Le kayak s'est retourné immédiatement, et nous attendons, un, deux, trois,... six, sept, ouf, il a resurgi. "Çà va ? Çà va ?" Pas de réponse. Nous sommes inquiètes. Il a dû subir un sacré choc. En fait, il a surtout été surpris par la rapidité des événements, et, je pense, gêné davantage qu'aidé par son gilet de sauvetage dans lequel il est engoncé. Il récupère bateau et pagaie, prend pied sur la rive toute proche, mais trop abrupte, et entreprend de regrimper d'un coup de rein (ou deux) sur son kayak. Il a retrouvé l'usage de la parole et nous rassure. Pendant quelques centaines de mètres, Michèle et moi naviguons en jetant des coups d'œil inquiets à l'arrière, pour le surveiller.
J'ai encore une peur rétrospective (quoique sans objet) pour Jonathan que j'ai peine à refréner. Puis nous naviguons de concert pendant un petit moment avec Sylvie et Jérémie. Ce dernier appréhende le passage des troncs d'arbres qui jonchent la rivière et Sylvie lui a demandé de la laisser pagayer seule afin qu'il ne perturbe pas la bonne avancée du bateau par des coups de pagaie inconsidérés dans les passages délicats. Michèle le tarabuste : "Mais rame, Jérémie, rame !" Rien n'y fait : il a peur, et transmet son inquiétude à Diana, agrippée au gilet de sauvetage de sa mère. Elle pousse de petits cris et s'exclame : "Attention, là, un tronc d'arbre ! Encore un autre !" Nous dépassons Nico et Marie-Ch', qui bataillent également avec les obstacles. Évidemment, "c'est la faute à Marie-Ch'", qui peut s'en étonner ?
Nous nous reposons de nouveau au pont suivant et partageons un goûter copieux : gâteaux secs, touron mou et nougat dur d'Espagne. Un peu de thé, de l'eau, et c'est bon pour repartir. La fin du trajet paraît très courte et plus facile. Nous maîtrisons maintenant bien la conduite de nos longues embarcations, prévoyons les accélérations de courant dans les virages et les passages d'obstacles, profitons à plein du calme de notre environnement : cela ne devrait jamais finir... Parfois, un craquement ou un plouf nous fait sursauter. Serait-ce un poisson qui saute, une grenouille qui plonge, un Indien caché derrière un arbre qui nous envoie des projectiles empoisonnés avec sa sarbacane géante (je viens de voir Orinoco, l'exposition sur les Indiens de l'Orénoque) ou bien un bataillon d'écureuils farceurs qui nous bombardent de glands ? Non ! C'est simplement l'automne qui s'annonce : des feuilles tombent continûment en tournoyant avec lenteur, et se posent à la surface de l'eau un moment avant de s'enfoncer sans bruit, des glands et des pommes de pin se détachent brusquement et se précipitent sur le sol et les canoës dans un claquement sec, le vent se lève et fait bruire les cimes des arbres comme le sourd grondement d'un train ou d'un avion qui n'en finirait pas de passer, des nuages passent, qui assombrissent momentanément notre tunnel de verdure, vite chassés par des bouffées de chaleur qui balaient la lande en une douce caresse. A l'approche du dernier pont, nous entendons le bruit d'une chute d'eau.
Il faut accoster avant : le moniteur nous attend avec sa remorque pour récupérer les canoës et les kayaks. Mais que se passe-t-il ? Nous sommes tous arrivés et pourtant il manque un canoë ! Nous nous recomptons : non, c'est bien çà, il y en a un qui manque. C'est le collègue qui l'a emporté dans la foulée, en prenant ceux des deux autres groupes de personnes arrivés avant nous. Ouf ! Le mystère est élucidé. Nous chargeons le reste de l'équipement dans la petite voiture et regagnons à pied le centre du village à deux cent mètres de là. Il fait chaud, il fait doux, il fait bon. Personne n'a envie de partir. Certains prennent une douche, les autres se changent dans les voitures, et nous restons là, tranquilles, à deviser en écoutant des musiques de films qui émanent de la voiture de Max. Pourquoi se presser ? Laissons le charme de la forêt des Landes agir sur nos esprits et la saine fatigue d'une journée sportive s'écouler de nos corps...
Pendant le retour, le soleil descend peu à peu sur l'horizon, la forêt s'assombrit et les nuages de chaleur qui se forment dans le ciel se parent de mille couleurs enchanteresses. Le spectacle n'est plus sur terre, mais en l'air, et, tandis que mes passagers dorment, épuisés, je conduis, l'oreille à l'écoute des musiques sur les ondes et le regard... sur la route, mais également, je l'avoue, un peu perdus dans la luminescence céleste.