Ascension de l'Irubela

28 octobre 2001

Participants : Cathy & Jean-Louis Constant ; Frédéric Barthélémy ; Richard Biscay  ; Max Duez ; Geneviève & Kuba.


 

 

 

 

 


Le récit de Cathy

 

 

 

Après avoir participé à l'Hirukasko (ascension de trois pics en une journée, organisée par des associations basques), Jean-Louis, Richard et Max m'avaient dit qu'il fallait absolument que je "fasse" l'Irubela parce que la beauté de la randonnée faisait (presque) oublier la pente longue et prononcée qu'il fallait gravir.

C'est donc ce que nous avons entrepris ce dimanche 28 octobre, jour où nous passons à l'heure d'hiver, ce qui nous donne une heure de plus pour nous préparer ce matin-là. A mon réveil, il pleut à verse, alors qu'il faisait beau toute la semaine, toujours grâce au vent du sud. Heureusement, ce n'est qu'une ondée nocturne et les nuages s'élèvent rapidement, s'étirent et laissent entrevoir le ciel bleu. J'ai amené pour l'occasion un couple basco-polonais et Richard a convié également son confrère Frédéric à cette sortie. Geneviève m'avait dit qu'elle était accoutumée à la montagne et qu'elle ne s'inquiétait pas pour l'endurance de son mari Kuba. Ils se sont donc joints à nous au dernier croisement d'Itxassou où ils habitent et nous ont suivis dans leur voiture.

A Bidarray, nous avons longé le Bastan puis remonté une route étroite sur la gauche jusqu'à un évasement déjà fort encombré en cette heure tardive par les voitures des randonneurs. Geneviève, observant nos préparatifs devant nos coffres ouverts, pensait, en son for intérieur, que nous exagérions un peu avec notre équipement : chaussures de montagne et bâtons de marche semblables à des bâtons de ski. Elle s'était simplement munie de chaussures de basket montantes et d'un manche à balai, tandis que Kuba étrennait des chaussures de montagne toutes neuves.

Nous sommes descendus à pied sur la route bitumée flanquée d'une ferme d'aspect misérable dont la petite voiture du propriétaire était garée en équilibre sur un minuscule terre-plein pas plus large que l'espacement des pneus, entouré de barrières faites de branches torses qui, davantage que d'une chute éventuelle dans le ravin, la protégeaient sans doute des dégradations possibles par les petites chèvres belliqueuses qui se promenaient librement tout autour.

Rapidement, nous sommes entrés dans le vif du sujet et la pente agressive du sentier dès le départ a provoqué la scission immédiate du petit groupe de sept personnes en trois niveaux : en tête Richard, affligé d'une tendinite et qui craignait de retarder ses compagnons (!), puis Jean-Louis, Max et Frédéric, qui marchaient également d'un bon pas, quoique moins rapide, et enfin mes invités et moi-même.

Le groupe du milieu faisait l'élastique entre la tête et la queue, accélérant par moment pour tenter de rattraper Richard, puis s'arrêtant à d'autres pour nous laisser les rejoindre. Il s'est vite avéré que mes invités vivaient l'aventure de leur vie : ils n'avaient jamais escaladé une montagne aussi raide, ni effectué de randonnée aussi longue à pied.

En outre, charme mais aussi difficulté supplémentaire, il fallait passer par des terrains très divers : sentier caillouteux, sous-bois couvert d'un tapis de feuilles mortes, aux racines saillantes et à la terre anormalement sèche, poussiéreuse et glissante en cette arrière-saison automnale, rochers balayés par les vents des cimes, pentes herbeuses très pentues. Cela ne nous a pas empêché de faire plus ample connaissance, bavardant continûment et profitant des pauses fréquentes pour partager boissons et gourmandises. Kuba a évoqué ses randonnées en kayak sur les lacs de Pologne reliés les uns aux autres par des rivières.

Il nous a dit qu'il était capable de faire un circuit de cinq jours en deux jours ! Détail supplémentaire, il ne s'agit pas de ces petits kayaks modernes que nous utilisons sur la Nive ou les courants des Landes, en caoutchouc gonflé, en plastique ou en métal léger. Non ! Ceux sont de véritables bateaux de bois, de métal ou de toile tendue sur un cadre de bois ou métallique, lourds, parfaitement étanches, et qu'il faut porter à de multiples reprises sur les rives pour contourner les écluses.

Les bateaux sont chargés des tentes, provisions et bagages et je pense que ce portage doit être loin d'une partie de plaisir. Certes, sur les rivières le courant aide à la progression, mais par contre, sur les lacs il faut ramer dur, et parfois au milieu de vagues d'un mètre ! Là, il s'agit des activités estivales. Quant à l'hiver, les Polonais aiment aller skier. Certes, la Pologne est une immense plaine, mais elle est dominée au sud par la chaîne des Carpates. Comme les stations sont trop chères en Pologne, Kuba préférait skier dans le pays voisin, en Tchécoslovaquie.

Etant donnée la lenteur de la progression, nous n'avons pas attendu d'être au sommet pour déjeuner et nous nous sommes assis à l'orée de la forêt moussue sur des pierres plates sèches en compagnie du groupe du milieu qui nous avait attendus. Richard avait préféré poursuivre sans attendre, craignant de refroidir son tendon et de ne plus pouvoir monter.

Puis l'écart s'est creusé de nouveau après la forêt et j'ai regretté que mes compagnons habituels ne ralentissent pas leur rythme pour entourer, rassurer, encourager et renseigner les nouveaux-venus, d'autant que, faisant moi-même cette ascension pour la première fois, j'hésitais sur le chemin à suivre, ne pouvais pas répondre à leurs questions pour nommer les villages et pics environnants, et je ne savais pas évaluer la distance qu'il nous restait à parcourir ni le temps que cela nécessiterait à cette vitesse (lenteur).

Geneviève prit peur au passage des crêtes rocheuses bordées d'à-pic vertigineux, encombrée par ses bâtons (son manche à balai et une branche écorcée ramassée chemin faisant) et maladroite pour escalader les marches naturelles, bousculée par les rafales de vent qui faisaient vaciller son corps de constitution fine et légère. Il est vrai que pour un baptême de montagne, c'était réussi et impressionnant à souhait ! J'ai vu le moment où le couple ne pourrait plus ni avancer ni reculer et j'étais très inquiète, d'autant que Kuba se fatiguait également de plus en plus dans la montée, et que je voyais le temps tourner, le vent fraîchir et le ciel se couvrir, pendant que nous multipliions les arrêts.

Enfin nous avons atteint le sommet, où Richard, emmitoufflé dans son anorak et allongé sur l'herbe rase pour donner moins de prise au vent, nous attendait depuis une éternité, pensant un moment que nous avions fait demi-tour, et rejoint également depuis un long moment par Jean-Louis, Max et Frédéric.

Ils ont tous salué l'exploit de mes compagnons par une ovation. Après nous être de nouveau restaurés et un peu reposés, nous avons entamé la descente, préférant la pente douce mais longue, sur les conseils de Richard, plutôt que de rebrousser chemin sur une distance certes plus courte, mais plus escarpée, comme le conseillait Max. Très rapidement nous nous sommes fait distancer de nouveau, tandis que nous terminions de longer les crêtes de l'Irubela, véritable épine dorsale qui me fait penser au dos hérissés d'écailles des stégosaures de l'ère du Jurassique et nous nous sommes retrouvés éloignés du peloton de tête. Ils nous ont attendus plus bas, à l'orée de la forêt de hêtres, superbe.

Nous avons obliqué sur notre droite, dans le bois où Geneviève, mal chaussée et fatiguée, glissait sur les cailloux ronds comme des billes. Heureusement qu'elle était dotée d'une volonté farouche et d'un moral bien accroché car, pas une fois je ne l'ai entendue se plaindre, et même après avoir atteint les limites de sa résistance, elle s'était mise à chanter avec moi des chants basques ! Pendant l'une des pauses où elle soulageait ses muscles légèrement tétanisés, Geneviève a évoqué le froid qu'il faisait en Pologne, l'hiver. Par moins 20°C, elle était constamment frigorifiée.

Ni l'anorak ni le manteau amenés de France n'arrivaient à l'isoler de ce froid pénétrant. Kuba a dû lui offrir un manteau de fourrure de renard pour qu'elle puisse mettre un pied dehors. Les autres fourrures, telle que celle du vison, étaient trop fines, seule celle-ci était efficace. Malgré tout, avec leurs deux petits enfants, ils ne sortaient guère et préféraient attendre les beaux jours. Elle disait en outre qu'en Pologne, il y a des élevages d'animaux à fourrure ; il ne s'agit pas d'animaux chassés par des trappeurs, à l'ancienne, et donc il n'y a pas de risque de disparition de ces espèces.

Nous avons parcouru les dernières centaines de mètres dans un paysage baigné de lumière rosée infiniment douce tandis que le soleil descendait sur l'horizon, illuminant de ses derniers feux les nuages et les cimes des montagnes. Juste à temps ! La nuit est tombée presque d'un coup, beaucoup trop tôt, en raison du changement d'heure intempestif qui écourte nos activités extérieures de fin de journée, alors que nous avions repris le chemin du retour dans nos voitures respectives.

 

 


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